Fiche
Résumé
2003
L’ancien prieuré de l’Artige est situé à l’extrémité sud est de la commune de Saint-Léonard-de-Noblat, au sommet d’un promontoire rocheux surplombant la confluence de la Maulde et de la Vienne. Il n’en subsiste plus aujourd’hui que l’église, un corps de bâtiment (l’aile ouest, qui sert d’habitation aux propriétaires), et quelques autres vestiges encore imposants, pour la plupart cristallisés dans les années 1960, notamment le mur ouest de la salle capitulaire et une tour d’escalier d’un logis du XVe siècle. L’ensemble est organisé autour de l’ancien cloître dont il ne reste rien. Préalablement aux travaux de restauration de l’église, plusieurs recherches et interventions ont été menées par le bureau d’études Hadès au printemps 2003 sur l’ensemble du site : une étude documentaire et historique, une étude du bâti, et une série de sondages archéologiques ont ainsi été réalisés. Parallèlement, un relevé topographique complet du prieuré et de ses abords a été effectué.
Historique
Le prieuré de l’Artige était le chef d’un ordre canonial à vocation érémitique apparu au début du XIIe siècle. Installé dans un premier temps à quelques kilomètres au nord du site actuel (à l’Artige-Vieille), la communauté fut transférée à partir de 1174 au sommet d’un éperon rocheux surplombant la Maulde. À partir du XIIIe siècle, l’Artige est à la tête de plus d’une trentaine de prieurés dépendants, essentiellement répartis dans le diocèse de Limoges et les diocèses voisins, du Berry au Quercy, jusqu’à la façade atlantique. L’ordre est régi par la règle de Saint Augustin (ce sont des chanoines) et accueille des clercs et des laïcs. Cependant, ces derniers semblent disparaître dans le courant du XIVe siècle tandis qu’au siècle suivant l’ordre doit faire face à une crise du recrutement. Doté d’importants revenus provenant pour l’essentiel de rentes foncières reçues en donations aux XIIe et XIIIe siècles et revenant aux mains du prieur, le prieuré de l’Artige est en fait un bénéfice intéressant et il est mis en commende en 1540.
Dans la seconde moitié du XVIe siècle, au cours des Guerres de Religion, le prieuré subit deux pillages successifs (en 1569 et 1587) qui l’affaiblissent considérablement. Le deuxième pillage semble d’ailleurs avoir entraîné l’incendie ou la ruine d’une grande partie des bâtiments. Les prieurs commendataires, peu investis dans la gestion du prieuré, paraissent alors n’avoir consenti qu’à des travaux de réparation a minima, et n’ont pas procédé aux reconstructions qu’il aurait fallu entreprendre… Au XVIIe siècle, le prieuré est dans un état de délabrement avancé et seuls trois chanoines y assurent le service religieux. En 1686, au terme de plus de dix ans de procédures, le collège des Jésuites de Limoges, à la recherche de nouveaux revenus, obtient l’union du prieuré de l’Artige à condition d’y entretenir les trois places de chanoines. Cependant, devant la difficulté grandissante de pourvoir à ces places, le Collège se voit accorder (en 1743) leur extinction à la mort des titulaires. Le dernier chanoine meurt en 1782 et avec lui disparaît, avant la Révolution, l’ordre de l’Artige.
Les sondages archéologiques
En dehors des sondages destinés à documenter l’église du prieuré, la majeure partie d’entre eux a été implantée de manière à privilégier la vue d’ensemble du prieuré (saisir son extension et localiser les murs des différents corps de bâtiments disparus). Dans l’église, outre le sondage effectué dans la nef afin d’appréhender les anciens niveaux de sol (qui ont disparu et ne subsistent qu’à l’état de traces), un sondage a été réalisé à l’emplacement d’une ancienne chapelle latérale : il a fait apparaître, à moins de 20 cm sous la surface du sol, l’existence d’un pavage en carreaux de terre cuite décorés et glaçurés. Un deuxième sondage mené au chevet de l’église a, quant à lui, montré que l’actuel chevet plat avait succédé (probablement vers la fin du XVIe siècle) à un ancien chevet de plan absidial. Par ailleurs, les deux chapelles latérales étaient originellement dotées d’absides.
Dans le cloître, deux sondages, réalisés l’un contre le mur sud de l’église, l’autre au-devant des vestiges de la salle capitulaire, ont permis de retrouver le pavage de la galerie du cloître (en simples carreaux de terre cuite) et les fondations du mur bahut (la galerie était large de 3,10 m).
Quant aux autres sondages, leur but était de permettre de compléter le plan du prieuré en localisant les murs des bâtiments disparus. Les sondages menés à l’emplacement de l’aile est (dont il ne restait que les baies de la salle capitulaire et la tour du XVe siècle) ont fait apparaître le mur oriental de l’aile et l’extension de l’ancien logis du prieur édifié au XVe siècle. Par ailleurs, dans les jardins, un sondage a assuré l’existence d’une ancienne aile de bâtiment fermant le cloître sur le côté sud. Mais surtout, d’autres sondages, liés à l’observation de vestiges visibles plus au sud dans les jardins, ont révélé l’existence d’un long corps de bâtiment, d’axe est ouest et d’une cave (à l’est), donnant ainsi au prieuré une extension probablement deux fois plus grande que celle qu’on lui supposait jusqu’alors, et confirmant les écrits de Dom Estiennot qui, au XVIIe siècle, voyait encore les traces « de deux monastères », un grand et un petit.
Étude du bâti
Longtemps présentée comme composée d’une simple nef et d’un chevet plat, l’église de l’Artige est en fait un édifice assez profondément transformé : il ne subsiste en effet de la construction originelle (fin du XIIe siècle) que les deux murs gouttereaux. L’église médiévale était large de 10,60 m pour une longueur d’au moins 48 m. Le chœur était pourvu d’une abside semi circulaire et flanqué de deux chapelles latérales. Ces deux chapelles, quasiment identiques (la chapelle sud apparaît légèrement plus petite), étaient longues de 11 et 10 m, et larges de 6,50 m. Comme le chœur, elles étaient pourvues d’une abside circulaire. À l’origine, elles étaient toutes deux couvertes d’une voûte en berceau brisé. La nef était éclairée par quatre baies à larges embrasures et était couverte d’une voûte en berceau (probablement brisé) dont le départ est encore marqué par un cordon de pierre. Enfin, le décor peint en faux appareil gris peut être rapporté à ce premier édifice. Il semble que dans la seconde moitié du XIIIe siècle l’église a été l’objet d’une série d’aménagements portant essentiellement sur la décoration intérieure : adjonction dans le chœur d’une alcôve renfermant le tombeau des fondateurs, mise en place de nouveaux décors peints, réalisation dans le chœur et les chapelles d’un pavage de carreaux décorés… Enfin une plaque de dédicace d’autel de 1267 conservée aujourd’hui au Musée national de Varsovie (Pologne) prend également sa place dans cette série de transformations.
Pour ce qui concerne les transformations architecturales, la plus importante est sans nul doute l’adjonction d’un clocher carré qui ne subsiste aujourd’hui probablement que sur la moitié de sa hauteur originelle. Il semble avoir été surmonté d’une flèche à base octogonale (appelée « beffroi » au XVIIIe siècle). Ce clocher n’est pas daté précisément (seconde moitié du XIIIe ou début du XIVe siècle ?).
C’est probablement aux événements des Guerres de Religion que l’on doit l’effondrement de la voûte de la nef. Les revenus du prieuré étant alors aux mains d’un prieur commendataire, les reconstructions demeurèrent très partielles : les absides du chœur et des chapelles latérales furent remplacées par un mur rectiligne au soubassement en pierre de taille. La voûte fut rebâtie en lambris ce qui nécessita l’aménagement d’une nouvelle charpente avec entraits prenant appui dans le départ de l’ancienne voûte.
Située dans le prolongement de la chapelle sud de l’église, l’aile orientale était occupée au rez-de-chaussée par la salle capitulaire dont il subsiste encore la porte et les baies du côté du cloître. Ses dimensions intérieures étaient de 13,50 m de long sur 6 m de large. On observe encore le départ du voûtement composé de croisées d’ogive aux nervures au profil droit dégagé de deux cavets. À la lecture des sources écrites, l’édification de cette salle peut être datée du premier tiers du XIIIe siècle, les formes employées dans le décor s’accordant tout à fait avec cette datation. À l’extrémité sud de l’aile s’élevait le logis du prieur, édifié au XVe siècle et dont il ne reste que la tour d’escalier qui en desservait les étages.
Quant à l’aile ouest du prieuré, si elle paraît la mieux conservée, c’est aussi celle qui a subi le plus de transformations récentes. Elle est longue de 28,90 m et large de 8 m, mais le mur pignon sud et près de la moitié du mur ouest-ont été reconstruits au XIXe siècle. Elle est la seule à posséder un niveau de caves : sur les deux tiers sud, il s’agit d’une vaste cave voûtée en pierre, mais sur le tiers nord, la voûte, effondrée dès l’époque moderne, a été remplacée par un plancher. La face orientale, du côté du cloître, est la mieux conservée. Au rez-de-chaussée, elle possède encore toutes ses ouvertures médiévales, aux piédroits de granite surmontés d’arcs brisés. Au-dessus, on note la présence d’un larmier de schiste et de corbeaux venant recevoir la toiture de la galerie du cloître. Par contre, toutes les ouvertures de l’étage procèdent de remaniements, et aucune n’est véritablement antérieure au XIXe siècle… Cette aile servant actuellement d’habitation, de nombreuses informations restent cependant pour l’instant inaccessibles.
Enfin, près de 200 éléments lapidaires provenant de l’ancien prieuré de l’Artige ont fait l’objet d’un inventaire accompagné de dessins et de photographies. Leur étude a notamment permis de proposer une restitution de la galerie du cloître.
Julien DENIS
2004
Les sondages réalisés en 2003 avaient révélé que l’église n’était pas un simple édifice quadrangulaire au chevet plat, mais une église pourvue d’une abside et de deux chapelles latérales. Par ailleurs, un sondage réalisé dans la chapelle nord avait permis de découvrir un pavement en carreaux de terre cuite décorés à une faible profondeur. Dans le cadre des travaux de restauration de l’église, l’Architecte en Chef des Monuments Historiques a ainsi souhaité que ces nouveaux vestiges puissent être mis en valeur : la campagne 2004 a donc porté sur quatre secteurs : le chevet de l’église, la chapelle nord, la chapelle sud, et les abords du mur gouttereau nord.
L’abside circulaire de l’église a été dégagée sur toute sa superficie. Extrêmement arasé, le mur, large de 2 m, ne subsiste plus qu’à hauteur des fondations. Le sol intérieur a entièrement disparu. Par contre, plusieurs autres maçonneries accolées au chevet révèlent la présence d’au moins un bâtiment inédit dans ce secteur. Dans la chapelle nord, la fouille a permis de dégager les vestiges d’un pavement en carreaux décorés qui a ensuite été déposé pour restauration. Ce pavement était composé à l’origine de deux panneaux intégrant des carreaux glaçurés monochromes et des carreaux estampés bicolores ornés de motifs figuratifs (rosaces, quatrefeuilles, aigles bicéphales, oiseaux…). Sa réalisation est antérieure à 1347, mais ne correspond pas au sol d’origine de la chapelle.
Dans la chapelle sud, deux sépultures (déjà fouillées à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe) ont été dégagées, en même temps qu’un lambeau du pavement de la chapelle. Apparenté à celui de la chapelle nord, il avait presque intégralement disparu. Dans les murs nord et sud de la chapelle, des enfeus surmontaient des pourrissoirs creusés dans le substrat. Un troisième pourrissoir a également été identifié au pied de l’enfeu nord. Avec le pourrissoir découvert en 2002, cela porte désormais à quatre le nombre de structures de ce type sur un espace somme toute assez restreint.
Enfin, le long du mur gouttereau nord, la réalisation d’un sondage perpendiculaire à l’église a confirmé l’hypothèse de la présence d’une galerie couverte, identique à la galerie du cloître bordant le côté sud de l’église. Cette galerie, qui n’est pas conservée de manière homogène, a accueilli un nombre conséquent de sépultures, dont beaucoup conservent encore leur pierre tombale. La fouille de l’intégralité de la galerie est prévue lors de la campagne 2006.
Julien DENIS