Fiche
Résumé
Située à moins d’une dizaine de kilomètres au nord-est de Castres, la petite ville de Burlats, est construite sur la rive droite de l’Agout, un affluent du Tarn. Implantée à la lisière occidentale des montagnes du Sidobre, Burlats semble particulièrement bien dotée aux XIIe et XIIIe siècles, période où le seigneur direct, le vicomte de Trencavel, aimait y séjourner. Au XIVe siècle, son prieuré est élevé en collégiale, mais les bâtiments monastiques sont ravagés pendant les guerres de Religion et les chanoines se réfugient définitivement à Lautrec à la fin du XVIe siècle.
Aujourd’hui, la cité est réputée pour son patrimoine de l’époque romane : les ruines de son église et surtout deux maisons, le « pavillon d’Adélaïde » et la « maison d’Adam » (fig. 1)*. Édifiées à proximité du prieuré et incluses dans celui-ci au moins depuis l’époque moderne, celles-ci sont transformées en usines au milieu du XIXe siècle. Les activités industrielles ayant cessé à la fin des années 1950, le Parc naturel régional du Haut Languedoc, qui s’en est porté acquéreur en 1980, les a rétrocédés à la commune, permettant la mise en place d’un programme de réhabilitation. Dans ce projet, la « maison d’Adam », déjà inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis 1927, a été classée le 29 décembre 1981. Celle-ci regroupe en fait deux maisons : un module primitif ouvert sur la rivière, et une seconde bâtisse, de plan trapézoïdal, qui le prolonge vers l’emplacement supposé du cloître de l’ancienne collégiale. Sur les quatre baies géminées qui en éclairaient l’étage du côté de l’Agout, trois ont été remplacées par des croisées modernes (fig. 2). Seuls un chapiteau et la moulure extradossant l’arc de décharge de la fenêtre orientale ont survécu. La baie ouverte à sa gauche était encore en place au début du XXe siècle, mais elle a été vendue vers 1935 et est désormais perdue (fig. 3). C’est l’iconographie d’un de ses chapiteaux latéraux, représentant Adam et Ève, qui a donné son nom à la demeure au début du siècle dernier.
Le premier projet de restauration engagé dans les années 1980 ayant été ajourné, la mairie et le PACT du Tarn l’ont réactivé dans les années 1990 afin de transformer ce bâtiment en logements. L’édifice étant classé, le chantier a été confié à un architecte en chef des monuments historiques. Comme des claveaux sculptés remployés se distinguaient dans les allèges des croisées de l’étage, celui-ci a fait appel à la société Hadès, afin de piquer et d’analyser la façade. Réalisée pendant cinq jours en décembre 2010, cette étude a été complétée d’un suivi de chantier durant deux jours en novembre 2013. Étant les derniers témoins de l’état de la demeure avant sa réhabilitation, des observations rapides des élévations intérieures ont été effectuées. Mais cet examen est demeuré très superficiel.
L’analyse de la façade a confirmé le remploi de vingt-quatre claveaux dans les allèges des deux croisées sud. Les éléments dégagés et les descriptions antérieures au démontage de la « fenêtre d’Adam » permettent de supposer que les petits arcs des baies géminées étaient identiques sur une même arcature, mais présentaient une ornementation différente d’une fenêtre à l’autre. Celle-ci associait des rinceaux ou des palmettes avec des billettes sur l’arcature (fig. 4) et des pommes de pin, des fleurons ou des têtes d’anges et des dents de scie sur l’arc de décharge (fig. 5). Malheureusement, tous les claveaux mis au jour ont été retaillés en moellons, ce qui a compromis tout espoir de remontage des baies et engagé une modification du projet de restauration par l’architecte.
Cette sculpture de qualité indique un commanditaire non seulement fortuné, mais aussi probablement érudit. Elle fournit également une fourchette chronologique pour dater la façade de la « maison d’Adam », très probablement construite vers le milieu du XIIe siècle, voire peu de temps avant. Celle-ci répond aux critères habituels des demeures urbaines médiévales, avec un étage largement ouvert de baies géminées reliées par des cordons d’appui et d’impostes régnant tout le long du mur. La contemporanéité des quatre ouvertures du rez-de-chaussée – dont ne subsistent que les arrière-voussures – n’est cependant pas démontrée, cette arcature ayant pu être ouverte aux siècles suivants. L’accès à la « salle » de l’étage devait se faire par une porte ouverte au milieu du mur arrière de l’étage, probablement desservie par un escalier extérieur dont les dispositions sont inconnues.
Curieusement, les murs-pignons sont appuyés contre la façade et donc rattachés à une phase ultérieure, peut-être réalisée aux XIIIe‑XIVe siècles (fig. 6)**. La différence de typologie des deux arcades bâties en schiste, ouvertes face à face à l’extrémité sud du rez-de-chaussée, pourrait révéler la mise en place – relativement tardive – d’un passage charretier vers le cœur du prieuré, peut-être au moment de son érection en collégiale (fig. 7). À cette époque, un bâtiment est accolé au moins contre la partie nord-ouest de la maison et en communication avec celle-ci. En cette fin de Moyen Âge, un enduit peint d’un faux-appareil ocre jaune et ocre rouge est appliqué dans la salle de l’étage.
L’ouverture de croisées, percées au détriment des baies géminées – au XVIe (côté sud), puis au XVIIe siècle (extrémité est) – suggère l’existence de cloisons qui ne correspondent cependant pas aux murs-de-refends actuels, sans doute érigés à la fin du XVIIe ou au siècle suivant. Ces divisions s’accompagnent de l’ouverture ou de la modification de plusieurs ouvertures, dont certaines sont obturées et transformées en placard. Elles peuvent correspondre à la mise en location des bâtiments et n’ont donc plus rien de commun avec l’occupation du lieu par les chanoines. Au XIXe siècle, l’adaptation du bâtiment à sa nouvelle fonction de manufacture laisse peu de traces clairement reconnaissables, mais peut-être que le remplacement des arcades du rez-de-chaussée par des fenêtres barreaudés en fait partie.
Le caractère superficiel de cette étude n’a pas permis d’apporter une interprétation définitive à la fonction de ce bâtiment. Déjà été avancée dans les années 1980, l’hypothèse d’un édifice appartenant précocement au prieuré, peut-être une hôtellerie, paraît la plus probable. Cette dernière était peut-être installée au-dessus de la porterie, au moins à partir des XIIIe-XIVe siècle, ce qui expliquerait la mise en place du passage charretier. Cependant, en l’absence du piquage et d’une étude rigoureuse de toutes les élévations, ces interprétations demeurent provisoires.
Mélanie CHAILLOU
* DAO de M. CHAILLOU, d’après les fonds de plan cadastraux disponibles sur www.cadastre.gouv.fr et archivesenligne.tarn.archivesenligne.tarn.fr ** Croquis métrés et DAO de M. CHAILLOU, d’après les plans de P. CALVEL, complétés et modifiés