HADÈS Archéologie

Ilots Rêve-Vieille et Pontet-Boucherie

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Fiche

Résumé

La réhabilitation des îlots Rêve-Vieille et Pontet-Boucherie nécessitait une intervention préalable d’envergure. En effet, en plus de documenter l’évolution urbaine par le biais d’une étude archéologique du bâti, cette opération a permis d’examiner des carrières urbaines de travertin et d’en apprendre plus au sujet de l’exploitation de cette matière première que l’on retrouve régulièrement en œuvre dans les édifices médiévaux et modernes de la ville (au niveau des encadrements en particulier). L’intervention a porté sur les niveaux de cave pour l’îlot Pontet-Boucherie et sur presque tous les niveaux de l’îlot Rêve-Vieille, soit sur un peu plus d’une quarantaine de pièces.

Les vestiges les plus anciens du site ont été mis au jour dans l’îlot Rêve-Vieille, au n° 10. La présence de niveaux anthropisés antérieurs à l’urbanisation du secteur a été vérifiée : deux murs synchrones délimitent une calade. Le mobilier recueilli indique que cet ensemble a fonctionné au cours des Xe et XIe siècles. La faible surface conservée ne permet pas d’aller plus loin dans l’interprétation. On peut toutefois noter que les murs ne sont pas disposés selon l’orientation générale des immeubles qui ont été bâtis ensuite. Les techniques de construction de ces murs arasés évoquent des aménagements de type agricole.

La première phase contemporaine du développement urbain détruit presqu’entièrement ces deux murs. Le niveau d’arasement de ces derniers correspond à celui du départ de l’élévation des nouvelles maçonneries. Ainsi, l’espace sur la rue Répitrel, correspondant aux nos 10-12 de la rue Rêve-Vieille, est bâti. Une vaste demeure en moyen appareil de moellons en calcaire sublithographique est construite (Unité 3a). Elle présente, sur la rue Rêve-Vieille, une double arcade monumentale qui soutient deux étages au moins. Cette demeure ne comporte en élévation que quelques fenêtres étroites sous linteau droit reposant sur des coussinets. Les dispositions internes n’ont pas été conservées, ce qui réduit les chances de pouvoir interpréter le statut de l’édifice. Parallèlement, une autre demeure (Unité 3b) a été bâtie juste en face, toujours au niveau des nos 10-12 de la rue Rêve-Vieille. Les techniques de construction sont semblables, mais il n’en reste aujourd’hui qu’un fragment de maçonnerie. Ces deux maisons étaient séparées par une rue d’environ 4 m de large, dont le tracé épouse celui de l’actuelle rue Rêve-Vieille. Directement au-dessus, en direction de la rue Marcel-Journet, une troisième demeure (Unité 1) a été construite au niveau du n° 4 de la rue Rêve-Vieille. Les élévations en moellon de calcaire sublithographique sont du même acabit que les précédentes. Mais à la différence de ces dernières, elles reposent sur une base de blocs de travertin appareillés. Une baie en plein-cintre encore en place permettait d’y accéder depuis la rue Répitrel dont le tracé, à ce moment, se connectait directement à la rue Marcel-Journet. La présence d’un petit ruisseau le long de cette façade et de celle de l’unité 3a est attestée. En regard de la chronologie relative et de la typologie des ouvertures, ces demeures ne semblent guère postérieures à la première moitié du XIIe siècle.

Lors de la phase suivante, toutes ces maisons sont ruinées consécutivement à un important mouvement de sol. Les maisons ont alors basculé dans le sens de la pente et se sont affaissées dans la même direction. La moitié des murs de ces maisons s’est ainsi effondrée. Des murs subsistants, seuls des lambeaux du rez-de-chaussée et du premier étage ont résisté. Au niveau de l’unité 3a, le pan de façade SE a été exceptionnellement conservé jusqu’au deuxième étage, laissant en place une baie contemporaine de la phase précédente. Cet épisode violent ne peut guère être attribué qu’à un tremblement de terre. Parmi les hypothèses les plus vraisemblables, celle du séisme de Brescia (Italie du Nord) survenu en décembre 1222 apparaît comme la plus plausible. Ce séisme a en effet été ressenti dans toute la Lombardie jusqu’à Gênes. Même si l’on ne trouve aucune référence à ce séisme dans les chroniques des Alpes-Maritimes, aucun autre événement précédent ou suivant ne présente la même intensité. Mais dans tous les cas, ce séisme est intervenu peu avant ou au cours de cette période car les techniques de construction usitées pour rebâtir les maisons ne sont probablement pas être postérieures au XIIIe siècle.

Le chantier de reconstruction des maisons est exceptionnel à plus d’un titre. En effet, les solutions techniques employées montrent que les édifices ont été rebâtis à partir de l’existant sans être arasés. Les ruines ont presque été reprises comme tel. Seule l’unité 3b a été presqu’entièrement rasée. Le mur de façade a été doublé en pierres de taille en calcaire sur l’actuelle rue Rêve-Vieille et l’ensemble de l’unité 3a a été adossé à cette nouvelle façade. La reconstruction et la réunion de l’unité 3a avec la façade de l’unité 3b ont été entièrement réalisées en moyen appareil de blocs de travertin taillés. Cette solution a permis aux constructeurs d’introduire à la fois de la légèreté et de la souplesse aux maçonneries.

En effet, le travertin est un matériau très léger d’une part et il permet d’autre part aux maçonneries de travailler sans phénomène d’éclatement sous l’effet d’une compression due à un mouvement de sol ou bien au travail de l’édifice. Par ailleurs, il s’agit d’un matériau économiquement avantageux, puisque son extraction est des plus simples et que son exploitation en carrière permet également de recueillir du sable et de la fourrure pour les murs. C’est d’ailleurs ce qui a été particulièrement mis en évidence au niveau de l’îlot Pontet-Boucherie. S’agissant de plus de pure calcite, on peut s’interroger sur son usage pour la production de chaux. Or, le travertin constitue le socle de la ville et on a pu montrer qu’il a été exploité dès les XIIe-XIIIe siècles (en particulier au niveau de l’îlot Sainte-Marthe). Parallèlement, l’unité 1 est rebâtie avec les mêmes matériaux, mais selon un plan différent. Le bâtiment principal est en effet légèrement déplacé vers le n° 2 de la rue Rêve-Vieille alors que l’espace du n° 4 est conservé, adoptant un plan trapézoïdal.

Ces travaux ont engendré le déplacement de la rue Rêve-Vieille, parallèlement, de quelques mètres vers le NE, à son emplacement actuel. Les unités 1 et 3 sont toujours séparées par une placette et le ruisseau Répitrel borde toujours les deux maisons au SO. Vers l’actuel n° 14 de la rue Rêve-Vieille, aucune construction ne sépare l’unité 3 de la place aux Herbes (actuelle place Etienne-Roustan). Il faut ainsi imaginer, depuis la phase précédente, un habitat relativement espacé. S’agissant de la vocation des édifices, nous n’avons pas plus d’éléments que pour la phase précédente. Les éléments architecturaux distinctifs, telle que la présence de deux baies géminées en façade principale de l’unité 3, ne font que confirmer le haut statut du bâtiment, sans que l’on puisse toutefois y apporter d’autres précisions.

Au cours du XIVe siècle, hormis quelques modifications mineures, aucune nouvelle construction n’est entreprise. Toutefois, l’angle ouest de l’unité 3 a subi un effondrement dont l’origine reste inconnue. La reconstruction de cet angle est réalisée dans l’urgence, comme en témoigne l’usage mixte de moellons en calcaire et en travertin en remploi.

Il faut ensuite attendre la fin XVe siècle pour voir de nouveaux travaux d’ampleur. Il semble que ce soit à ce moment que les sols des rues Rêve-Vieille et Répitrel sont remblayés d’environ 1,20 m. Le ruisseau Répitrel est alors canalisé au moyen d’un arc rampant qui s’appuie contre les façades des unités 1 et 3. Si au niveau des maçonneries rien ne permet de dire que des modifications substantielles ont été entreprises, il n’en va pas de même pour les planchers qui ont été remaniés et déplacés. C’est du moins ce que laissent penser les datations dendrochronologiques qui indiquent qu’une phase importante de remaniement des planchers à l’extrême fin du XVe siècle a été réalisée. On notera d’ailleurs que le chêne a été privilégié à ce moment alors qu’au cours des phases suivantes ce sont les résineux qui ont été préférés.

Il s’agit là des principales phases médiévales de construction de l’îlot qui s’est progressivement densifié durant les période moderne et contemporaine jusqu’à devenir un bloc de constructions dont la lecture est aujourd’hui particulièrement difficile.

L’étude des îlots Pontet-Boucherie et Rêve-Vieille a été particulièrement riche d’informations inédites. Elle montre d’une part l’occupation et l’évolution du quartier Rêve-Vieille depuis les débuts de l’urbanisation de Grasse jusqu’à nos jours. Elle montre d’autre part l’important dynamisme de la ville médiévale et moderne qui se trouve, dans cette partie, en perpétuelle mutation. Elle montre enfin comment le substrat de la ville a été géré et exploité au fur et à mesure de la conquête du bâti sur les espaces publics.

 

Fabien Blanc