Fiche
Résumé
L’équipe de recherche réunie pour l’étude des enceintes de la ville d’Oloron-Sainte-Marie, à l’initiative du service régional de l’Archéologie et de la municipalité, a pu mener au cours des années 2002 et 2003, plusieurs campagnes de travaux qui désormais renseignent un peu mieux les origines de la cité et sa topographie urbaine à l’époque antique et médiévale. Ces travaux, avec d’autres, viennent réalimenter le débat historiographique sur les origines de plusieurs agglomérations antiques de la Novempopulanie, un peu plus de dix ans après le colloque Aquitania sur les villes et agglomérations antiques du Sud-Ouest.
C’est d’ailleurs en raison des découvertes archéologiques récentes menées dans le quartier de la cathédrale Sainte-Marie que s’est de nouveau posée la problématique des enceintes de la cité d’Oloron, et de la place du quartier vicomtal Sainte-Croix dans le contrôle de ce site stratégique, au confluent des gaves d’Aspe et d’Ossau, sur la route de Lescar à Saragosse par le col du Somport, passage pyrénéen attesté dès l’Antiquité.
La réflexion engagée sur les enceintes de ces deux quartiers a pour objectif d’en reconnaître le tracé, la nature et la chronologie, afin d’essayer de déterminer qui du quartier vicomtal Sainte-Croix, repeuplé par le vicomte Centulle V à la fin du XIe siècle ou, qui du quartier de la cathédrale Sainte-Marie dont l’occupation antique est avérée, fut l’héritier de la cité antique d’Iluro, l’une des douze cités composant la province de Novempopulanie, mentionnée ainsi dans la notice des Gaules au tournant des IVe et Ve siècles. A cette problématique historique s’est adjointe une problématique d’aménagement futur de la clôture de ville à travers la politique menée par la ville d’Oloron Sainte-Marie pour la mise en valeur de son patrimoine monumental, notamment dans le cadre de sa ZPPAUP établie par l’architecte Etienne Lavigne.
Pour le moins, les découvertes réalisées dans le cadre de ce programme de recherche réveillent les vieux rêves de l’abbé Menjoulet, qui au XIXe siècle voulait voir dans certaines portions de murailles du quartier Sainte-Croix une enceinte antique et sous son église, l’ancien siège de l’évêché avant un hypothétique transfert de la cathédrale dans le quartier Sainte-Marie, dont le premier prélat connu, Saint Grat, est mentionné en 506 au concile d’Agde. Le corpus de textes rassemblés par Jacques Dumonteil sur les enceintes du quartier Sainte-Marie et Sainte-Croix témoigne de l’existence d’une enceinte bâtie autour du quartier Sainte-Croix dès l’époque médiévale, conservée à l’époque moderne mais déjà passablement endommagée et aliénée. Le quartier Sainte-Marie semble lui aussi avoir possédé une enceinte de ville, mais bâtie sur deux côtés seulement, le reste étant entouré de fossés attestés par les textes et la toponymie sous le nom de « barats ». Cette étude historique révèle de nombreuses réparations effectuées sur le mur de ville du quartier Sainte-Croix et atteste l’existence de la construction d’une nouvelle enceinte raccordée à l’enceinte primitive, muraille établie dans la seconde moitié du XIVe siècle par Gaston Fébus pour renfermer le faubourg du « bourg d’en bas » né au débouché du pont sur le gave d’Ossau.
Une première enceinte de ville haute, le quartier vicomtal Sainte-Croix
La documentation historique abondante recueillie sur le quartier Sainte-Croix comparée à la pauvreté des données archéologiques a conduit l’équipe de recherche à privilégier l’étude de cette partie de la ville. Ce choix s’avérait d’autant plus pertinent depuis l’observation menée en 1996 par Jean Pascal Fourdrin et Raymond Monturet d’une portion de muraille près du cimetière Sainte-Croix dont la mise en œuvre, supposant l’existence d’une tour en saillie, pouvait être datée de l’Antiquité.
Deux prospections de terrain ont été menées, à l’été 2002 (Raymond Monturet et Jean Pascal Fourdrin) et à l’hiver 2003 (Jean-Luc Piat), pour reconnaître le tracé des murailles subsistantes dans les parcelles bâties du quartier Sainte-Croix. Cette reconnaissance appuyée d’une couverture photographique, d’un relevé topographique (Pierrick Stéphant) et de relevés de détails de quelques portions de parement a démontré de manière surprenante l’existence de nombreux pans de murailles d’une enceinte établie sur la hauteur de la butte Sainte-Croix, en un plan approximativement quadrangulaire étiré sur un axe nord sud. Les portions recensées sur les quatre courtines présentent des parements en petit et moyen appareil calcaire, d’assises régulières bien que souvent déformées, remaniées ou altérées. Le mortier est composé de sable gris et beige et de chaux, mais il a pu être noté sur plusieurs murailles, la présence d’inclusion de tuileau. Cette enceinte de ville haute, dont il subsiste près des trois quarts du périmètre, englobait une superficie de 3,7 hectares. L’étude comparative des parements a permis de distinguer des portions visiblement d’origine antique, avec des murs d’une largeur moyenne d’environ 250 cm, bâtis en petit appareil et percés de trous d’échafaudage de section circulaire. Ces portions ont été fortement remaniées ou reconstruites à l’époque médiévale et moderne. Les murailles médiévales se caractérisent notamment par une alternance d’assises en petit et moyen appareil, les murs d’une épaisseur de 110 cm, étant percés de trous d’échafaudage traversants de section carrée. Quant aux murailles d’époque moderne, il s’agit en majorité de réparations des parements antiques ou médiévaux, excepté un demi bastion formé d’un redan encadré par deux tenaillons, placé en boulevard sur l’enceinte primitive de la courtine orientale.
Une série de sondages archéologiques réalisés à l’été 2003 sur cette première clôture a permis de donner quelques repères chronologiques. En effet, les niveaux d’occupation contemporains à la mise en place des fondations de la courtine sud et ouest-ont livré du mobilier céramique daté de la fin du IVe ou du début du Ve siècle après J. C. L’enceinte est donc tardive mais est venue se surimposer à des horizons d’occupation antérieurs, dont les plus anciens correspondent à des niveaux de destruction d’habitats en torchis datés du Ier siècle avant notre ère, entre autre par une monnaie en bronze ibérique frappée à Kelse (probablement l’actuelle Velilla-del-Ebro). Au-delà de l’Antiquité, les données chronologiques recueillies, notamment dans des niveaux de dépotoir déposés au pied des murailles, révèlent une reconstruction de certaines portions de murailles entre les XIe et XIIe siècles, notamment au sud de l’église Sainte-Croix, sanctuaire roman contemporain de ces niveaux qui était accolé d’un cloître dont les murailles devaient faire corps avec la courtine sud de l’enceinte.
Mais, ce que les sondages ont révélé aussi, c’est toute la complexité structurelle des courtines. Si les documents écrits ou figurés nous signalent l’existence de tours à l’époque médiévale et moderne, elles ont aujourd’hui disparu. Les observations sur le bâti actuellement conservé en font supposer l’emplacement d’une demi-douzaine. Seules deux ont pu être partiellement dégagées. L’une en contrebas de l’ancien couvent des Cordeliers, de plan circulaire, présente une souche maçonnée pleine dans laquelle sont noyées dans un solide mortier des pierres et quelques fragments de tegulae. Cette tour formait l’articulation de l’angle des deux courtines nord et ouest de l’enceinte. Elle a été détruite dans le courant du XIXe siècle. Une seconde tour imposante, dont le plan complet n’a pas pu être déterminé, a été dégagée à l’emplacement repéré en 1996 près du cimetière Sainte-Croix. Elle présente un talon arrière de plan carré percé en son milieu d’une porte dont on conserve le seuil. L’intérieur de la tour, dont les murs font une épaisseur de 160 cm, n’a pas pu être observé, occupé par des caveaux sépulcraux récents. Cependant, on distingue dans la construction en petit appareil calcaire régulier de l’embrasure de la porte, un lit de briques caractéristique de l’architecture romaine. Cette tour, dont il nous manque toute l’avancée en saillie sur l’extérieur de l’enceinte, cette portion ayant glissé probablement dans la pente en contrebas, est comparable par sa disposition creuse en rez-de-chaussée aux tours de l’enceinte antique de Bayonne. On ignore encore son rôle dans l’enceinte, simple tour massive placée sur le secteur de la ville le plus exposé sur le plateau, ou première tour d’une porte d’accès à la ville dont il pourrait exister la sœur jumelle plus à l’est sous les remblais du cimetière actuel.
Le problème des portes et poternes de l’enceinte reste en effet entier. Les deux portes « historiques » attestées par les documents écrits n’ont pas fait l’objet d’investigations, se trouvant actuellement sous la voirie actuelle. Un plan du XVIIIe siècle récemment retrouvé où figure le portail « d’en haut » révèle la connexion étroite du château vicomtal avec cet accès et pose la question des réaménagements de l’enceinte antique lors du repeuplement entrepris par le vicomte Centulle V à la fin du XIe siècle. Les observations archéologiques témoignent de plusieurs reprises de l’enceinte antique à l’époque médiévale, ceci probablement lié au nouveau lotissement et à de possibles dérivations des tracés de voiries primitifs. Une étude du parcellaire et du bâti médiéval et moderne encore conservé paraît nécessaire désormais pour comprendre ce que cette enceinte abritait et l’organisation intra-muros qu’elle a généré.
Une seconde enceinte intermédiaire, le quartier du bourg d’en bas Le développement urbain de la cité d’Oloron à l’époque médiévale a généré plusieurs faubourgs dont le premier fut sans doute celui situé au pied des murailles de la cité antique repeuplée par Centulle V, entre la porte « d’en bas » et le pont sur le gave d’Ossau construit dans le courant du XIIIe siècle. Jacques Dumonteil a montré récemment dans l’Atlas Historique d’Oloron comment sont apparus les faubourgs d’Oloron, mais il semble que seul celui situé au bec de la confluence, ce « bourg d’en bas » ait fait l’objet d’une mise en défense avec la construction d’une clôture de ville par Gaston Fébus en 1366. La reconnaissance sur le terrain a permis de déterminer précisément le tracé d’au moins un côté de cette seconde enceinte qui, depuis le pont venait, en remontant sur la colline de Sainte-Croix, se raccorder à l’angle de l’enceinte antique. La muraille bâtie sur une fondation de galets, présente un parement soigné en petit et moyen appareil d’assises régulières. Large de 110 cm environ, cette muraille est conservée par endroits sur près de sept mètres de haut, notamment à l’emplacement d’une poterne supposée être la porte de la « boucherie d’en bas » où l’on conserve l’arc de décharge en plein cintre de l’ancien chemin de ronde.
Une troisième enceinte de ville basse, le quartier épiscopal Sainte-Marie
Reste le problème de la clôture du quartier Sainte-Marie. Ayant focalisé nos objectifs sur l’enceinte du quartier Sainte-Croix, nous n’avons pas engagé d’investigations aussi poussées sur ce quartier, d’autant que les fouilles menées ces dernières années permettent d’appréhender de mieux en mieux la topographie ancienne de ce secteur. Néanmoins, nous avons entrepris un sondage d’évaluation sur l’emprise supposée de l’un des fossés de l’enceinte de Sainte-Marie, impasse des Barats, profitant de travaux d’aménagement sur la parcelle autrefois occupée par l’ancienne mairie de Sainte-Marie. Une tranchée d’une quinzaine de mètres a pu être réalisée depuis l’arrière du lot bâti jusqu’à l’extrémité du jardin. Elle a révélé l’existence d’un fossé large d’environ 4 mètres, creusé dans le substrat d’argile à gravier et comblé de niveaux de dépotoir cendreux contenant du mobilier céramique compris entre les XIVe et XVIIe siècles. Aucune muraille ni talus n’a été remarqué en arrière de ce fossé confirmant la nature légère de cette clôture et justifiant la dénomination de « barats » donnée aux deux rues bordant les côtés nord et sud du quartier.
Le bilan de ces travaux de recherches sur les enceintes de la ville d’Oloron est donc particulièrement prometteur des relectures historiques qui pourront être faites pour comprendre la genèse et l’évolution des deux noyaux urbains nés autour de l’église Sainte-Croix et de la cathédrale Sainte-Marie. Se pose, entre autres, les rapports de pouvoir entre le quartier Sainte-Marie et le quartier Sainte-Croix, où il faut manifestement placer le cœur de la cité romaine d’Iluro, clos à la fin du IVe siècle ou au début du Ve siècle, à l’instar de plusieurs autres cités de Novempopulanie. Là, apparaît à la fin du XIe siècle un pouvoir vicomtal qui entreprend un nouveau lotissement. Ailleurs, à Sainte-Marie, une agglomération antique est attestée ainsi qu’une nécropole paléochrétienne puis mérovingienne. C’est ici, qu’au milieu du XIe siècle fut rétabli le siège épiscopal, attesté pourtant dès le début du VIe siècle, mais à un emplacement indéterminé qui pourrait être aussi bien Sainte-Croix que Sainte-Marie. De même, le tracé de l’enceinte antique pose le problème de son dispositif défensif et de l’emplacement de ses tours et de ses portes. Des investigations complémentaires doivent être engagées pour préciser la relation de cette clôture de ville avec la ville close elle-même, la voirie et le parcellaire intra-muros notamment. Et que dire encore de l’occupation antérieure à l’enceinte du bas Empire, de ces niveaux d’habitats de la fin du second Age du Fer qui remettent l’Iluro romaine dans les problématiques des peuplements Celtibère et transpyrénéens.
Le devenir des vestiges d’enceinte recensés fait l’objet aussi d’une réflexion de l’équipe de recherche et le travail mené par Etienne Lavigne préfigure ce que sera peut-être le futur aménagement du tour d’enceinte du quartier Sainte-Croix. Il y est privilégié une meilleure lisibilité du tracé des remparts et des mesures conservatoires sont envisagées, notamment dans le cadre d’une procédure de classement de l’ensemble du périmètre.
Jean-Luc PIAT