HADÈS Archéologie

Des Crouzets

Fiche

  • Responsable : Ugo Cafiero et Rémi Carme
  • Période de fouille : du 16 mai au 24 juin 2011
  • Maître d’ouvrage : Commune de Rougnat
  • Localité : Rougnat (Creuse)
  • Type d’opération : 
  • Période : 
  • Agence : ATLANTIQUE

Résumé

La commune de Rougnat est située dans la partie orientale du département de la Creuse. L’exploration archéologique de la parcelle Des Crouzets, qui se trouve à 400 m au sud-est du bourg, a été motivée par un projet de lotissement initié par la commune. La fouille préventive réalisée en 2011 a fait suite à un diagnostic effectué l’année précédente et qui avait principalement révélé la présence de structures en creux (fosses, silos, trous de poteau). L’une d’elle, de dimensions assez vastes, avait été interprétée comme une cave ou un souterrain. Le mobilier, rare et peu significatif, permettait vraisemblablement de dater cette occupation du bas Moyen Âge ou de l’époque moderne (entre le XIVe et le XVIIe siècle). Ces différents éléments ont conduit le service régional de l’Archéologie à prescrire une fouille archéologique préventive portant sur une emprise de 2 830 m2. L’opération s’est déroulée durant six semaines, du 16/05/2011 au 24/06/2011 et a mobilisé une équipe de six à huit archéologues.
Plus d’une centaine d’entités archéologiques ont été mises au jour dans l’emprise de fouille (fig. 1). Il s’agit pour l’essentiel de structures en creux (principalement des silos et des trous de poteau/piquet), même si quelques-unes correspondent à des aménagements de surface (foyers). Certaines d’entre elles composent deux entités spatiales que sont un bâtiment et le souterrain aménagé qui lui est associé, lesquels constituent la seule unité d’occupation assurément identifiée sur le site.

L’emprise du bâtiment, peu lisible dans son ensemble, procède d’une excavation peu marquée réalisée dans le substrat (fig. 2). De plan rectangulaire, elle couvre une surface d’une vingtaine de mètres carrés. Ses limites sont relativement nettes au nord-ouest, mais elles sont beaucoup plus diffuses sur les trois autres côtés, de telle sorte que l’emprise au sol de l’édifice reste difficile à préciser. Il en est de même pour son architecture, car le médiocre état de conservation des vestiges ne permet pas de savoir s’il se superposait simplement à l’excavation ou s’il s’agissait d’un bâtiment à deux nefs divisé par une rangée de poteaux axiale. Quoi qu’il en soit, cet espace monocellulaire était équipé d’un foyer qui constitue le seul aménagement assurément reconnu en son sein (fig. 3).

Sur son flanc nord-est, ce bâtiment communique avec un souterrain aménagé dont la voûte est en grande partie effondrée (fig. 2). Ramifié, il se compose de trois parties distinctes :
– la première correspond à l’accès qui se fait depuis le bâtiment par l’intermédiaire d’une tranchée qui s’enfonce progressivement dans le substrat. Ce plan incliné débouche sur une courte galerie rectiligne dotée d’un système de fermeture qui constitue le sas d’entrée. De là, la cavité se divise en deux ;
– vers le nord, le couloir d’entrée communique avec un petit espace par le biais d’une chatière. Au nord-ouest, ce réduit est relié à un puits de creusement qui forme l’extrémité septentrionale de la cavité. Dans un second temps, ce puits est bouché par un mur en pierre sèche dans lequel est aménagé un conduit d’aération ;
– vers le sud-est, le sas d’entrée débouche sur un couloir coudé qui conduit à une galerie annulaire, laquelle constitue sans doute la partie principale du souterrain. Elle communique vers le sud avec un second puits de creusement.
Le mode opératoire suivi par les constructeurs de ce souterrain est conforme au schéma mis en évidence par ailleurs : creusement en tranchée qui devient l’accès permanent à la cavité ; puits d’extraction verticaux qui, une fois bouchés, sont reconvertis en conduits d’aération, etc.

 

La fonction de ce souterrain reste difficile à préciser car les traces d’occupation observées en son sein sont très ténues. En tout état de cause, on constate que l’ouvrage ne dispose d’aucune salle à proprement parler, et seul le réduit situé au nord pourrait être considéré comme telle. Pour le reste, les espaces qui composent la cavité (sas d’entrée, couloir coudé, galerie annulaire) s’apparentent à de simples circulations dépourvues de tout aménagement (niches, placards, banquettes, etc.). Par ailleurs, aucun niveau d’occupation n’a été clairement relevé et les quelques tessons de céramique récoltés proviennent des couches d’abandon. De même, le fond de l’ouvrage ne montre pas de trace d’usure pouvant témoigner d’un quelconque piétinement. Du reste, ce « sol » est assez irrégulier, en particulier dans la moitié occidentale de l’anneau.
Ces différents constats livrent deux enseignements peu contestables : d’une part, ils témoignent visiblement d’une fréquentation sporadique de la cavité ; d’autre part, la configuration générale des lieux (l’absence de salle, l’exiguïté des galeries, l’irrégularité du fond) révèle un endroit bien peu commode pour y circuler ou pour y entreposer des denrées et assurer leur manutention. En résumé, il paraît délicat de considérer ce souterrain comme un lieu de vie ou même de refuge. Il est également difficile de lui attribuer un rôle de cave ou d’espace de stockage. À ce stade des recherches, sa fonction reste donc inconnue.

Pour l’essentiel, les autres vestiges mis au jour sur le site se rattachent à trois types principaux :
– une trentaine de silos a été identifiée. Rarement isolés, ils forment des ensembles pouvant réunir de deux à une quinzaine d’unités. Certains d’entre eux présentent un excellent état de conservation (fig. 4). Comme à l’ordinaire, les comblements sont formés de dépôts secondaires résultant d’apports, naturels ou anthropiques, postérieurs à l’utilisation des fosses en tant que silos. Ils n’ont donc livré aucun élément d’information sur le contenu initial de ces derniers. Pour autant, les silos repérés sur le site n’ont pas véritablement fait office de dépotoirs car ils ont livré très peu de mobilier. Ils sont le plus souvent comblés de blocs de granite qui témoignent de colmatages rapides et délibérés visant à condamner les structures après leur abandon (fig. 4) ;
– par ailleurs, plus d’une quarantaine de creusements interprétés comme des négatifs de poteaux ou de piquets ont été répertoriés. Plusieurs alignements se dessinent nettement. Il demeure toutefois difficile de savoir s’ils indiquent la présence de constructions ou, de manière plus prosaïque, s’ils sont les témoins de simples clôtures délimitant des espaces ouverts (enclos pour le bétail par exemple) ;
– le doute est moins grand pour les quelques foyers mis au jour dans l’emprise. Isolés en apparence, certains pourraient en effet être interprétés comme les derniers reliquats de bâtiments, qui seraient « invisibles » par ailleurs. Ce constat amène à proposer l’hypothèse selon laquelle il existait au moins une seconde unité d’occupation dans la partie sud de l’emprise, matérialisée par deux foyers juxtaposés (fig. 5).

Concernant la datation de ces différents vestiges, les quelques indices recueillis (mobiliers, analyses 14C) permettent visiblement de la situer autour du XIIe siècle, même si elle s’ancre peut-être dans le siècle précédent et si elle a pu connaître quelque prolongement dans le XIIIe siècle. Si elle a l’inconvénient de rester imprécise, cette proposition a néanmoins le mérite de vieillir sensiblement la datation avancée à l’issue du diagnostic.

Si le site a semble-t-il été circonscrit dans sa « totalité », sa matérialité nous échappe en grande partie. Les vestiges qui le composent sont divers, mais le médiocre état de conservation des aménagements de surface – qui contraste avec la bonne préservation des structures excavées – prive l’analyse d’une bonne partie de la réalité médiévale du site. De fait, la configuration originelle des lieux et les rythmes de l’occupation restent inconnus. De même, la nature des activités pratiquées sur place est difficile à apprécier dans le détail car les mobiliers recueillis sont rares et peu caractéristiques. Néanmoins, certains foyers soigneusement aménagés pourraient être les derniers témoins de bâtiments disparus. Cette hypothèse tendrait à démontrer que le site était sans doute d’une plus grande complexité qu’il n’y paraît de prime abord.
Quoi qu’il en soit, les données issues de la fouille donnent le sentiment que les lieux n’ont pas été très intensément fréquentés et d’une manière sans doute assez brève. S’il est impossible de connaître précisément la durée de l’occupation, celle-ci n’a pas dû excéder un ou deux siècles. La rareté des témoins mobiliers reflète peut-être une fréquentation sporadique et l’hypothèse d’un site occupé de manière saisonnière ne doit pas être écartée.
Pour autant, les questions relatives à la nature du site et au statut de ses occupants restent posées. S’agit-il d’un lieu uniquement destiné à l’habitation ? S’agit-il plus spécifiquement d’une exploitation agricole intégralement tournée vers la culture et l’élevage ? Le caractère rural du site est indéniable et l’absence de témoignage d’une quelconque spécialisation (artisanale par exemple) laisse penser qu’il s’agit d’un établissement « mixte », mêlant fonctions d’habitation et activités agro-pastorales.
Partant de ce constat, peut-on identifier ces vestiges avec la villa de Croset, localisée dans la paroisse de Rougnat, qui est mentionnée en 1249 ? La tentation est grande, mais les informations livrées aussi bien par les textes que par la fouille restent trop imprécises pour entériner ce rapprochement.

Au bilan, et malgré les nombreuses incertitudes qui demeurent, l’exploration archéologique du site des Crouzets a permis d’étudier attentivement un établissement rural dont l’occupation est centrée sur le XIIe siècle. Les opportunités d’explorer de tels gisements ne sont pas fréquentes et cette fouille constitue assurément un apport précieux à la connaissance des formes de peuplement qui structuraient les campagnes du Limousin médiéval.

Ugo Cafiero & Rémi Carmes