Fiche
Résumé
L’église Sainte-Marie de Chasseignes est située dans la commune de Mouterre-Silly, au nord du département de la Vienne (fig. 1). Son inscription puis son classement au titre des Monuments Historiques témoignent de l’importance des vestiges conservés en élévation [1]. Conscients de cette richesse patrimoniale, les élus municipaux ont missionné le cabinet d’architecte Marie-Pierre Niguès pour établir un programme de restauration et de valorisation. Dans le cadre d’une étude préalable, ce dernier a sollicité le Service Régional de l’Archéologie pour la conception d’un cahier des charges relatif à une intervention comprenant une analyse des élévations, des sondages et des suivis de terrassements pour des études géotechniques. L’étude de bâti a été réalisée en collaboration avec Véronique Legoux, restauratrice des enduits peints. L’étude des charpentes a été complétée par une expertise en dendrochronologie de Christelle Belingard.
Les difficultés d’analyse stratigraphique constituées par la présence des enduits et la complexité de l’édifice rendent très incertaines les hypothèses d’évolution du bâtiment. En l’état actuel des connaissances, l’histoire du site est décomposée en 13 phases (fig. 2).
Les premières constructions sont des maçonneries de qualité (fondation de mur et chape en mortier de chaux), mais leurs fonctions et leurs chronologies restent totalement ignorées (phase I). Plusieurs identifications seraient envisageables. Tout d’abord, la carte archéologique de Mouterre-Silly signale plusieurs villae gallo-romaines à moins d’un kilomètre, à Silly ou au lieu-dit Sous-la-Ville. Une occupation contemporaine de la nécropole mérovingienne de Mouterre-Silly a également pu laisser des vestiges. L’établissement d’une curtis antérieure à 989 implique l’existence de constructions liées à ce domaine. Enfin à cette date, la moitié de l’ecclesia de Cassania est donnée par Guillaume Fier-à-Bras, comte de Poitou à l’abbaye de Bourgueil. Cette donation amène l’éventualité d’un édifice religieux carolingien. Le titulaire serait alors un proche des comtes ou des souverains puisque le domaine comtal de Cassania est sans doute issu de la directe royale carolingienne.
Après une destruction et une période d’abandon (phase II), une église est établie (phase III). Son orientation atypique pose la question des contraintes imposées par l’architecture préexistante. En élévation, les vestiges se résument à deux piliers de plans irréguliers et éventuellement une portion de mur. La sculpture des impostes couronnant les piliers est le seul indicateur chronologique (fig. 3). Il est insuffisant pour attester l’antériorité de cette construction à la mention d’ecclesia de 989. L’acte émanant de Guillaume Fier-à-Bras, duc d’Aquitaine pourrait être à l’origine de la création de la paroisse. L’édification d’un pôle religieux serait alors entreprise entre 989 et 1003, année de la première mention de Sainte-Marie de Chasseignes.
Vers le milieu du XIIe siècle, l’église est reconstruite en quasi intégralité (phase IV). Le chantier témoigne de l’intervention d’un personnel qualifié, mais avec une certaine économie de moyens. La sculpture est limitée à la décoration du chevet et à celle du portail occidental de la nef. Le recours à des maçons ou sculpteurs ayant œuvré au prieuré fontevriste de Guesnes est fortement probable. La nef est charpentée. La faiblesse des élévations et l’absence de matériaux de couverture dans les couches archéologiques sondées contribuent à l’hypothèse d’une couverture en matériau périssable, bardeaux ou chaume.
Au XIVe siècle, une importante destruction semble affecter l’ensemble de l’édifice (phase V). La fourchette chronologique obtenue par l’expertise dendrochronologique de la charpente de la nef situerait l’évènement entre 1325 et 1343, si les bois sont abattus exprès pour la reconstruction. Les nouvelles élévations se démarquent par une réduction de l’épaisseur des murs (phase VI). Le chantier pourrait s’être conclu par une cérémonie de consécration au cours de laquelle des croix sont incisées dans les parements (fig. 4).
Au XVe siècle, le clocher est vraisemblablement reconstruit (phase VII). Pour le desservir, un escalier en vis est ajouté au sud de la travée droite. Des arcs-boutants et contreforts viennent ceinturer l’édifice. Ils concordent probablement avec l’installation d’une première couverture en ardoise.
Après un incendie ayant ravagé les parements de la tour d’escalier, deux chapelles sont édifiées de part et d’autre de la travée droite (phase VIII et IX). Actuellement, elles se caractérisent par la richesse de l’ornementation sculptée, mais à l’origine des décors peints complétaient le faste de cette architecture. Leurs commanditaires restent inconnus, probablement un des membres de la famille Beauvau du Ternay pour la chapelle sud. Les deux chapelles sont estimées de la fin du XVe siècle voire du début du XVIe siècle.
Des transformations sont effectuées dans le cadre de la Contre-réforme (phase X). Les autels sont restaurés. Un retable sommé d’un blason aux armes du cardinal Richelieu isole l’abside et la transforme en sacristie. Le linteau de l’une des portes est millésimé 1638 (fig. 5).
Les trois dernières phases sont des restaurations et consolidations effectuées entre le début du XVIIIe siècle et 1981.
Au bilan, l’étude de l’église de Chasseignes reste inachevée. De nouveaux sondages et de nouvelles observations en relation avec les restaurations et dégagements d’enduits peints devraient améliorer l’estimation chronologique de l’édifice religieux.
[1] Arrêté du 17 juin 1926.
Patrick BOUVART