Fiche
Résumé
2012
Le plateau de la Madeleine à Saint-Émilion se situe au sud-ouest de la ville à l’extérieur des remparts et domine la vallée du Fongaban. Les travaux historiques menés ces dernières années sur le site et autour du château Ausone ont permis de soulever de nombreuses problématiques sur l’occupation du sol dans ce faubourg de la ville où l’on recense un site castral, une maladrerie, deux sanctuaires, un cimetière, un quartier de faubourg, et l’exploitation de carrières de pierres. Les découvertes archéologiques anciennes et récentes attestent d’une occupation humaine dense depuis l’Antiquité. C’est ainsi qu’une villa antique, la villa du Palat, située en contrebas du plateau a fait l’objet de fouilles minutieuses dans les années 1980. En 1904, lors de travaux de plantation de vignes, une occupation funéraire dense autour de la chapelle de la Madeleine a été distinguée. Mais c’est surtout en 2011, lors d’un diagnostic mené par l’INRAP sur la parcelle communale (AO 87) immédiatement voisine de la chapelle de la Madeleine, qu’une partie de l’extension du cimetière et les vestiges bâtis de la façade d’une église romane, dont seul le chevet était encore visible sur une parcelle voisine, ont pu être dégagés. C’est dans ce contexte que le bureau d’investigation archéologique Hadès a proposé au propriétaire des lieux d’engager des travaux d’études archéologiques afin de mieux cerner les différents types d’occupation.
Cette opération a fait l’objet d’une demande de fouille programmée auprès du service régional de l’Archéologie*.
Au cours de cette campagne de fouille un relevé topographique des emprises funéraires visibles et des fronts de carrières sur les parcelles 104, 105, 106, 243 le tout complété par un relevé lasergrammétrique au scanner 3 D couplé par une photogrammétrie dans l’espace creusé « rotonde » sous la chapelle de la Madeleine a été réalisé (fig. 1 et 2**). Des sondages autour du chevet de l’ancienne église de la Madeleine dite de Fussignac, décrite en 1859 par Léo Drouyn, ont été réalisés afin d’en dégager le plan dont le relevé a été confronté à celui des vestiges dégagés sur la parcelle voisine. Il ne reste des vestiges observés par Léo Drouyn que trois bases de colonne sur cinq sur la portion du mur nord du chevet. L’étude du bâti confirme que la construction de cet édifice de culte date du XIIe siècle (fig. 3). Une portion du mur gouttereau sud ainsi que le dégagement complet du chevet combiné au plan partiel de la façade découverte sur une parcelle voisine permet de restituer le plan de cet édifice de culte. Il s’agirait d’un édifice à nef unique de 28,60 m de long (hors-œuvre) pour 9,20 m de largeur. La largeur interne de l’église est estimée à 4,80 m et celle de la chapelle axiale avoisinerait les 3 m. Cette projection fonctionne parfaitement avec les tombes dégagées au sud ainsi qu’avec le témoin d’un arrachement de maçonnerie repéré dans la paroi rocheuse le long de la route actuelle
Lors de cette campagne, 79 tombes rupestres ont été identifiées dont la plupart sont vides (sur les parcelles AO106, AO 243, AO 289). Néanmoins le retrait du remblai de terre recouvrant le roc d’une portion de la parcelle AO 106 a permis la fouille de plus d’une vingtaine de tombes. Sur cet ensemble le nombre total d’individus s’élève à 50, soit plus du double du nombre minimum de défunts attendus suite à la mise au jour des fosses (23 sujets en place et 27 en position secondaire répartis au sein de huit sépultures distinctes). Deux tombes de pèlerins ont ainsi été étudiées (fig. 4). Une inhumation double a été distinguée. Des caveaux se distinguant par la présence de dalles insérées dans les parois latérales de certains contenants ont également été identifiés mais non fouillés lors de cette campagne. Certaines sépultures ont conservés leur couverture composée de plusieurs pierres plates. Ce dispositif permet de conclure que les défunts ont été déposés au sein d’un espace vide, lequel s’est colmaté plus ou moins rapidement ou plus ou moins partiellement au cours de la décomposition des corps. Les individus sont couchés sur le dos, la tête à l’ouest avec les membres supérieurs fléchis en position symétrique ou asymétrique et les membres inférieurs en extension. Concernant les dépôts secondaires le nombre par tombe peut aller de 1 à 5 et concernent aussi bien des sujets adultes que des immatures. L’étude anthropologique permet cependant de constater que dans ce secteur les sujets en bas âges sont mal représentés. Cette hypothèse est appuyée par le fait que la majorité des creusements des tombes rupestres présentent des dimensions pour des sujets adultes et sous-entend une réutilisation de la tombe et par conséquent sa signalisation au sol. À part quelques orcels, peu de mobilier a été retrouvé dans les tombes.
Un sondage dans l’ancienne rotonde a été effectué afin d’en déterminer le plan au sol, le tout complété par une description détaillée des aménagements afin de proposer un phasage de son occupation. L’important remblai comblant l’intérieur de cet espace n’a pas pu être intégralement retiré interdisant toute interprétation sur sa fonction originelle et notamment sur les accès ainsi que le lien chronologique entre cet espace et la chapelle Sainte-Madeleine érigée au-dessus. Des ossements humains présents dans ce remblai laissent suggérer l’existence de vidange partielle du cimetière situé au-dessus et non de charnier à proprement parlé comme le pensait Léo Drouyn.
Une étude du creusé des fronts de carrières a été réalisée dans le but d’appréhender les différentes phases de constructions et d’exploitations le tout confronté aux données de terrain et à la documentation écrite. Il semble probable que l’extraction du calcaire sur le plateau Sainte-Madeleine soit très ancienne pouvant remonter à l’époque gallo-romaine comme semble l’attester le terminus ante quem obtenu avec l’identification de tombes creusées dans la paroi rocheuse verticale datées des XIe-XIVe siècle. Les textes à partir du XVIe siècle apportent leur lot d’information pour l’étude des carrières et sur l’exploitation intensive opérée sur le plateau au détriment du cimetière. L’exploitation du rocher par les carriers entre la chapelle Sainte-Madeleine et la portion du cimetière conservée sur la parcelle AO 106 aurait provoqué la disparation de plus de 540 tombes rupestres.
Il reste de nombreuses questions non résolues notamment sur les sépultures repérées sur la parcelle AO 87. Leur dégagement complet permettrait d’avoir une idée sur la densité de l’occupation funéraire, sur la chronologie des contenants et apporterait des éléments complémentaires à l’analyse biologique menée au cours de notre intervention. Ces données biologiques affineraient nos connaissances sur ce cimetière dont les sources écrites modernes révèlent par ailleurs la présence de lépreux, de pestiférés, et l’inhumation de personnes relevant de la religion protestante. Un relevé complémentaire lasergrammétrique devrait être effectué sur le reste de la paroi rocheuse et sur les tombes rupestres de la parcelle AO106 afin d’avoir une vision tridimensionnelle complète du site.
Natacha SAUVAÎTRE
*Programme de recherches de l’université de Bordeaux 3, Michel de Montaigne-UMR Ausonius 5607 « Des Vallées et des hommes dans l’Aquitaine médiévale. Villes et châteaux dans les basses vallées de la Dordogne et de la Garonne » et dans le cadre du programme collectif de recherche « Saint-Émilion et sa juridiction : genèse, architectures et formes d’un territoire ».
**Relevés lasergrammétrique et photogrammétrique O. VEISSIERE, Patrimoine numérique
2015
Cette deuxième campagne de fouille menée sur le plateau de la Madeleine à Saint-émilion s’est déroulée du 6 au 24 juillet 2015. Elle a été financée grâce à un don effectué par la SCEA Château Ausone au centre de recherche Ausonius (UMR 5607) dans le cadre du programme collectif de recherche « Saint-émilion et sa juridiction : Genèse, architectures et formes d’un territoire » coordonné par Frédéric Boutoulle.
L’objectif principal de cette campagne était d’entreprendre le dégagement complet de la façade occidentale de l’église et de fouiller une portion du cimetière conservé sur la parcelle communale AO 87 (superficie de l’emprise de fouille : 256 m²). Le dégagement complet de la façade de l’église, couplé aux données acquises lors de la première campagne de fouille, permet de revenir sur la restitution du plan proposé en 2012. La longueur totale est ainsi estimée à 28 m pour 8,60 m de largeur, hors-œuvre. La largeur interne de la nef est de 6,50 m, tandis que le chevet mesure 5,50 m. Le retour en équerre observé par Drouyn et interprété à l’époque comme le mur gouttereau sud correspondrait en fait, selon notre nouvelle proposition, à un contrefort délimitant la nef du chevet. La façade de l’église est bordée par deux contreforts d’angle. Au centre de cette façade se développe un portail dont l’ébrasement maximum atteint 3,30 m, avec une largeur de passage de 1,25 m. L’ébrasement nord comporte toutes ses bases de colonne à l’exception de la colonne d’axe marquant le passage (fig. 5). Des bases des colonnes de l’ébrasement sud, seuls les socles constituant la première assise sont conservés. La base de la colonne d’axe est, par contre, complète. L’église est par la suite agrandie vers le nord avec la création d’un nouveau collatéral et l’aménagement d’une porte plus modeste. L’adjonction dans un troisième temps d’un espace quadrangulaire en avant de la façade augmente le caractère monumental de l’édifice qui voit son emprise au sol atteindre les 36,60 m de longueur (fig. 6). Les nouvelles élévations viennent clairement s’appuyer contre la façade occidentale de l’église et lui sont de ce fait postérieures. Ses dimensions sont de 8,60 m est-ouest pour 10,60 m nord-sud. L’architecture se caractérise par la présence de sept supports carrés de 1,40 m de côté. Les espaces entre les supports sont variables. Ils sont de 2,20 m et deux fois de 1,40 m sur la face ouest, tandis que les supports des faces nord et sud sont espacés de 2,30 m.
Quarante-trois nouvelles sépultures ont été mises au jour sur le plateau, portant leur nombre à 122. La campagne 2015 a été l’occasion de terminer les explorations concernant les sépultures de la parcelle privée AO 106 d’une part, et d’engager la fouille de quelques-unes des nombreuses tombes mises au jour sur la parcelle communale AO 87, au-devant de la façade de l’église primitive. Plus de 14 structures de type caveau-pourrissoir ont été mises au jour. Deux seulement ont pu être fouillées. Ces structures funéraires comportent des traverses destinées à recevoir un corps dont la décomposition se produit à l’aplomb d’une profonde cuve (fig. 7). La fouille des sépultures 18 et 25 a donné des résultats forts intéressants sur les gestes funéraires effectués sur les ossements dans ces contenants. Ainsi, la fouille de la sépulture 18 a mis en évidence de nombreux ensembles en connexion anatomique au sein d’un dépôt où les restes se trouvent majoritairement déconnectés. Il est à noter, parmi ces corps partiellement représentés, la présence de très jeunes enfants. La fouille du caveau 25 a permis de dégager, dans la partie haute du remplissage de l’ossuaire, un individu dans une position tout à fait atypique. Il a très vraisemblablement été jeté dans la cuve et cette position traduit une certaine précipitation dans le geste, suggérant le besoin de se débarrasser hâtivement du cadavre.
Afin d’apporter des premiers éléments de chronologie absolue, des datations radiocarbones ont été effectuées par le laboratoire CIRAM sur trois sépultures, préalablement sélectionnées car pouvant refléter la chronologie d’ensemble du site de son origine à sa dernière utilisation. Les résultats obtenus corroborent les données historiques et les observations de terrain. C’est ainsi que l’occupation funéraire semble contemporaine de l’édification de l’église, située entre le deuxième quart du XIe siècle et la première moitié du XIIe siècle. L’utilisation du cimetière perdure au détriment de l’église qui semble abandonnée et ruinée à partir de la deuxième moitié du XVIIe siècle.
De nombreuses problématiques ressortent à l’issue de cette deuxième campagne de fouille, à la fois sur le bâti et sur la gestion de l’espace funéraire. Les travaux actuels sont loin d’être achevés et la fouille de l’espace funéraire devra être finalisée avant de pouvoir faire l’objet d’une analyse synthétique. Il va sans dire que ce site offre la possibilité, sur le long terme, de suivre l’évolution d’un cimetière médiéval extra-muros en relation avec un ou plusieurs édifice(s) de culte, de sa genèse à son abandon.
Natacha SAUVAÎTRE
2016
Cette troisième campagne de fouille menée sur le plateau de La Madeleine à Saint-Emilion s’est déroulée du 4 au 22 juillet 2016.
À l’issue de la campagne de fouille 2015, de nombreuses problématiques sont apparues à la fois sur le bâti et sur la gestion de l’espace funéraire. L’un des objectifs principaux de cette année fut de continuer la fouille au sein de l’espace quadrangulaire précédant l’église romane afin de chercher des supports à l’intérieur de la structure et d’étudier la fermeture des passages. Cinq sondages ont été entrepris dans et autour de la structure afin de découvrir tout indice permettant d’affiner la fonction de cet ensemble architectural. C’est ainsi que le sondage 3, pratiqué au centre de cet espace, a permis de découvrir une pierre taillée (0,60 x 0,55 x 0,28 m). Ce bloc pourrait avoir servi de socle pour recevoir une structure porteuse type poteau en bois afin de répartir la charge de la couverture de l’avancée monumentale que l’on peut interpréter comme une halle.
L’étude du bâti confirme que les passages entre les supports ont été fermés dans un état ultérieur (milieu XIVe-milieu XVe siècle). Des murs aménagés sur toute la largeur des supports, soit 1,40 m ont été distingués au moins à deux reprises. Ils sont constitués de deux faces parementées et d’une fourrure de petits blocs calcaires liés dans une gangue de terre dure orangée (fig. 8). Le dégagement de ces murs reste partiel à cause de la densité des inhumations qui empêche pour le moment une exploration plus approfondie.
La chronologie relative du bâti continue d’être affinée, mais sans être pour autant définitivement calée. L’église Sainte-Marie Madeleine est érigée au tout début du XIIe siècle (vers 1110) et par la suite agrandie au nord avec la création d’un bas-côté dont la mise en œuvre permet de caler la construction entre le milieu du XIIe siècle et le XIIIe siècle. Cet agrandissement irait de pair avec la situation économique et démographique de la ville alors à son apogée. À la suite de cet agrandissement, l’édifice subit une troisième modification avec la mise en place d’une avancée monumentale face à son portail. Cet aménagement, composé de sept supports, pourrait être interprété comme une halle ou auvent protégeant les fidèles en cas de pluie avant d’entrer dans l’église. Il aurait été mis en place entre le XIIIe et le XIVe siècle. Les passages entre les supports sont par la suite condamnés avec l’édification de murs pour au moins six des sept passages. Cette condamnation pourrait peut-être aller de pair avec le climat d’insécurité régnant à cette période (guerre de Cent Ans 1337-1453).
L’étude préliminaire menée sur la céramique prélevée dans les différentes couches stratigraphiques isolées montre une homogénéité du mobilier. Le remblai sépulcral, identifié à l’intérieur de l’avancée monumentale, comporte un lot conséquent de vaisselles comprises entre le milieu du XIVe siècle et le milieu du XVe siècle.
L’apport de terre pour niveler le terrain afin de continuer d’accueillir les morts a entraîné l’exhaussement du seuil du portail d’entrée de l’église. Un seuil est aménagé au niveau du seul passage restant sur le flanc nord de la halle. Il repose sur le remblai sépulcral. Son installation est donc postérieure au milieu du XVe siècle. Si nos observations s’avèrent exactes, il est probable que l’église continue d’être fréquentée au XVIe siècle.
La poursuite de la fouille des sépultures constitue le second axe majeur de nos recherches. Vingt nouvelles inhumations ont été mises au jour, portant dorénavant à 142 le nombre de sépultures référencées. Les tombes mises au jour cette année correspondent au dernier niveau d’occupation. Il s’agit essentiellement de tombes en pleine terre. La présence d’enfants est particulièrement importante. Tous les immatures ont été inhumés au sein de linceuls dont certains sont maintenus à l’aide de plusieurs épingles en alliage cuivreux. Cela dit, la fouille du cimetière est loin d’être exhaustive et on ne saurait conclure quant à l’organisation de cet important cimetière sur cette seule information. Les sépultures en coffre bâti fouillées en 2016 se répartissent uniformément à l’intérieur et à l’extérieur de l’espace quadrangulaire. Qu’il s’agisse des dépôts primaires ou des dépôts secondaires, des individus de tout âge et des deux sexes sont représentés. Les caveaux pourrissoirs méritent quant à eux encore davantage d’investigations, ce à quoi notre équipe se prépare avec impatience. La découverte d’ossements encore en position primaire sur les traverses d’un caveau pourrissoir est exceptionnelle et rarissime (fig. 9). Elle offre la possibilité de réaliser une étude tout à fait originale d’un pourrissoir avéré selon une méthodologie stricte.
Natacha SAUVAÎTRE
2017
Arrivé au terme de quatre campagnes de fouille, dont trois exclusivement consacrées au dégagement de l’église et de son cimetière, sur la parcelle communale AO 87, les données archéologiques s’accumulent et permettent de mieux cerner l’origine et le développement du site de la Madeleine à Saint-Émilion.
L’église, dédiée à Sainte-Marie-Madeleine, est une construction romane de la première décennie du XIIe siècle (état 1). La présence d’une chapelle axiale de plan rectangulaire au niveau du chevet en constitue son originalité. L’un des principaux objectifs de cette année était de poursuivre, à la fois, le dégagement du mur lié à l’agrandissement de l’église (état 2) et celui de la structure monumentale construite en avant de la façade occidentale de l’édifice de culte (état 3).
L’ouverture de deux nouveaux sondages (6 et 7) conforte la chronologie relative du bâti. Au cours de la précédente campagne nous avions constaté, à plusieurs reprises, que l’élévation de l’église repose non pas sur le substrat rocheux, mais sur un lit de moellons (Sauvaitre 2016, p. 27). Le dégagement de la base du contrefort d’angle nord, lors de l’ouverture du sondage 6, semble le confirmer à nouveau. Ce sondage, ouvert contre le mur ouest de l’agrandissement de l’église, outre les six sépultures mises au jour, permet la lecture du parement sur une hauteur de 1,26 m. Ce mur s’appuie très clairement contre le contrefort d’angle nord de l’église primitive. L’étude de sa mise en œuvre a permis de caler cette construction entre le milieu du XIIe siècle et le XIIIe siècle. Dépourvu de fondations débordantes, ce mur semble reposer sur une dalle monolithe apparentée à un couvercle de sépulture.
L’élévation a été en partie entaillée pour la pose des dalles de couverture d’une tombe en coffre bâti. La découverte d’un orcel (fig. 10), déposé avec le dépôt funéraire, dans une sépulture s’appuyant contre l’agrandissement, couplée à une analyse radiocarbone, effectuée sur une des dents du défunt, confirme la chronologie avancée. Dans un troisième temps, un avant-corps est édifié au droit de la façade primitive de l’église. Le plan quadrangulaire de cette structure est bien cerné (fig. 11). Elle est constituée de huit socles soigneusement assemblés et moulurés construits sur le même modèle. Le sondage 7, effectué le long de la bordure nord de l’avant-corps, révèle l’existence d’un décor sur les quatre faces du support central. Il s’agit de glyphes, petits canaux verticaux creux, relativement courts, parallèles et en répétition (fig. 12). Aucun autre support, parmi ceux qui ont été dégagés, ne semble en posséder. La présence de ce décor atteste, au moins pour cette maçonnerie, qu’elle était visible et que le sol de cette structure devait se situer à la base de ces socles. La surface de circulation a semble-t-il été entrevue lors du dégagement du remblai sépulcral à l’intérieur de l’avancée monumentale. Cet espace est donc ouvert sur ses trois côtés avec des largeurs de passage entre les socles variant entre 1,40 m et 2,30 m. D’un point de vue strictement architectural, cet ensemble monumental présente les caractéristiques d’une halle, c’est à dire un espace couvert ventilé et charpenté.
Le tout aurait été supporté par des poteaux en bois reposant sur des socles maçonnés surélevant l’ensemble. Cet avant-corps, dont la construction est située au cours du XIIIe siècle, va subir une modification importante avec la condamnation de ses accès. Lors de la précédente campagne nous avions pu constater à deux reprises que la fermeture avait été entreprise sur toute la largeur des socles et non pas que sur la face externe des passages. Le dégagement complet de la base du muret démontre que ce dernier se situe à une altitude légèrement plus haute que la base des supports. Par ailleurs, le mode de mise en œuvre diffère avec la présence de fragments de tuiles dans les joints qui ont la particularité d’être irréguliers et peu soignés. La mise au jour de pierres taillées et dressées sur leur face externe contre le support 4083, ainsi que des blocs disposés contre les supports 4083 et 4082, permet d’identifier l’aménagement d’une porte. Ainsi, les blocs apposés contre la face est du support central, obturant de ce fait le décor de glyphes, comportent deux creusements, disposés l’un sous l’autre, qui pourraient être en lien avec la pose d’un encadrement de porte en bois. Cet aménagement sous-entend une hausse du niveau de circulation de plus de 0,60 m. D’après la datation radiocarbone obtenue sur la sépulture coupant le muret 53 qui condamne l’un de ces passages, la modification apportée à cet avant-corps devrait avoir eu lieu avant la fin du XIVe siècle, voire dans le dernier tiers du XIIIe siècle.
Concernant l’occupation funéraire, vingt-sept nouvelles sépultures ont été mises au jour portant dorénavant à 169 le nombre de tombes référencées sur le plateau. Cette nouvelle campagne a consisté à reprendre la fouille des tombes aux alentours de la façade de l’église primitive. Deux plateformes suspendues ont été mises en place cette année pour fouiller les pourrissoirs.
Cette campagne a servi de phase de test. Le dégagement des dépôts secondaires découverts dans les pourrissoirs 126 et 98 n’est pas achevé. Ce type de fouille est laborieux et demande beaucoup de temps.
Les investigations de 2017, conduites dans et autour de l’avant-corps ont mis au jour de nouvelles sépultures en pleine terre, la plupart livrant des indices en faveur de la présence d’enveloppe souple textile. Ainsi, 13 inhumations d’enfants et 4 d’adultes ont été explorées. Quatre sépultures contiennent des réductions, dans lesquelles 7 immatures et 2 adultes ont pu être dénombrés.
Ces inhumations viennent étoffer l’échantillon de tombes récentes découvertes dans ce secteur et auquel un grand nombre de sépultures mis au jour en 2015 et 2016 appartient. La proportion de sujets immatures est encore plus forte que l’an passé (40 sur 56, soit 71,43 %), portant le quotient de mortalité à une valeur nettement supérieure au maximum attendu pour une population pré jénériennes. Les défunts sont tantôt inhumés en espace colmaté (pleine terre, linceul et/ou contenant rigide périssable) tantôt au sein de coffre ou de coffrage, comprenant parfois des remplois, soit de matériau, soit de structure bâtie préexistante. Lors de l’étude anthropologique des individus, nous avons été confrontées à des stigmates pathologiques pour lesquels le diagnostic n’a pu être posé avec certitude. Pour 5 sujets, un processus inflammatoire est observable sur la face antérieure des corps vertébraux. Il se caractérise par des micro foramens témoignant d’une hyper vascularisation de l’os. Deux pathologies infectieuses peuvent être à l’origine de tels remodelages osseux : la tuberculose et la brucellose.
Quelle que soit l’issue du diagnostic, et à moins que les marqueurs soient imputables à des phénomènes de croissance, ces résultats laissent penser que les inhumés sont issus d’une population a priori peu favorisée. De plus, si les stigmates pathologiques sont ceux de la brucellose, alors l’atteinte pourrait permettre de supposer que l’échantillon est issu d’une population rurale (ce qui est peu surprenant au regard de la localisation géographique), vraisemblablement en contact direct avec les animaux.
Natacha SAUVAÎTRE
2018
La cinquième campagne de fouille menée sur le plateau de la Madeleine à Saint-Émilion s’est déroulée du 02 au 20 juillet 2018. Le bilan est plus que convaincant. Vingt-deux nouvelles sépultures ont été mises au jour portant dorénavant à 191 le nombre de tombes référencées sur le site. On y dénombre une vingtaine de caveaux-pourrissoirs.
En parallèle à la fouille entreprise sur les pourrissoirs, nous avons effectué une étude globale sur ce type de sépulture. Trois grandes familles ont été distinguées : les pourrissoirs rupestres, les maçonnés (avérés et suspectés) et les mixtes (mi-rupestre mi-bâti). L’élaboration d’une typologie s’avère possible en combinant le module des traverses et la morphologie de la logette céphalique. Une base de données sous le logiciel Excel a été réalisée afin de compiler le maximum d’informations et pour confectionner une fiche d’enregistrement sur le terrain transférable sur le logiciel Filemaker.
La méthodologie conçue pour fouiller ce type de sépulture est en train de porter ses fruits. Leur étude est totalement dépendante du degré d’avancement du travail de terrain, les résultats et leur interprétation étant conditionnés par l’exhaustivité de la fouille. Ainsi, la sépulture 126 a fait l’objet de trois décapages supplémentaires, tandis qu’un seul décapage a pu être réalisé dans la tombe 98.
Dans la mesure où il apparaissait important d’amorcer les analyses du contenu des pourrissoirs, seuls les dépôts primaires des 24 sépultures fouillées ont été analysés en post-fouille. Les réductions et ossuaires présents dans les comblements n’ont pas été pris en compte, faute de temps.
Les données accumulées, combinées à la stratigraphie, permettent de distinguer quatre niveaux d’occupation funéraire. Le premier se caractérise par des tombes creusées dans le rocher, contemporaines de l’aménagement de l’église entre le deuxième quart du XIe siècle et la première moitié du XIIe siècle. Depuis 2012, 84 sépultures rupestres ont ainsi été référencées. Les fosses présentent un contour en plan anthropomorphe, doté d’une logette céphalique quadrangulaire. Pour cette phase de l’occupation funéraire, la distribution observée tend à suggérer que le recrutement s’est exercé indépendamment de l’âge et du genre. La réutilisation des fosses sépulcrales au cours du temps, ainsi que l’absence de véritable recoupement entre les diverses tombes, suggèrent la présence initiale d’un dispositif de signalisation des tombes en surface. Les dépôts secondaires mettent naturellement en exergue la pratique de la réduction de corps, soit en vue d’un gain de place, soit dans la perspective d’un regroupement familial.
Les tombes en coffres bâtis anthropomorphes maçonnés constituent le deuxième niveau de l’occupation funéraire établies dans le courant des XIIe et XIIIe siècles. Il s’agit de quatre tombes individuelles d’enfants de moins de 4 ans qui s’organisent autour d’une sépulture de jeune adulte dont le genre n’a pu être déterminé. Au sein de ce groupe, deux dépôts ont été opérés en pleine terre, dans un contenant périssable de type linceul ou cercueil. La datation radiocarbone effectuée sur l’individu inhumé avec un orcel dans le coffre bâti de la sépulture 152 permet de situer l’occupation entre les années 1151-1220. L’analyse chimique effectuée sur le contenu de ce flacon a mis en évidence l’utilisation d’huiles végétales et animales préalablement chauffées associées à des plantes à fleurs sans qu’il ne soit possible de les identifier. Le troisième niveau d’occupation funéraire se caractérise également par l’emploi de coffres maçonnés et par l’installation de caveaux-pourrissoirs. La datation radiocarbone obtenue sur le dernier individu inhumé dans le pourrissoir SEP 126 tend à situer l’installation de ce type de tombe entre le dernier quart du XIIIe siècle et la fin du XIVe siècle. Le référencement que nous avons entrepris permet d’identifier une mise en œuvre similaire entre plusieurs exemplaires laissant supposer une contemporanéité entre eux. Dix-sept sépultures, référencées sur la parcelle communale AO 87, composent à l’heure actuelle ce troisième niveau funéraire. Quatre d’entre elles correspondent à des caveaux pourrissoirs. La majeure partie des vestiges attribués à cette période sont soit en cours de fouille, soit inexplorés. Toutes sépultures confondues, les données anthropologiques recueillies – pour la période courant du XIVe au XVe siècle – sont encore insuffisantes car la plupart des informations d’ordre biologique proviennent des pourrissoirs. On dénombre 3 immatures (2 de la classe 1-9 ans et 1 de 10-14 ans), 1 adulte et 2 sud adultes. En outre, le caveau 126 livre pour l’heure 12 individus au moins : 6 sujets de plus de 20 ans, 2 sujets sud adulte et 4 immatures. Le caveau 98 quant à lui recèle déjà 4 immatures et 2 sub adultes. À l’issue de la campagne 2018, l’effectif total se porte à 24 individus au moins pour la période médiévale, parmi lesquels 11 immatures, 7 adultes et 6 sud adultes. Le quotient de mortalité avant 20 ans est alors compatible avec une mortalité naturelle.
La dernière occupation funéraire se démarque par des sépultures soit en pleine terre, soit en cercueils, caractéristiques des inhumations de la période moderne (XVIe-XVIIe siècles). La concentration excessive de ce dernier niveau de sépultures provoque le recoupement et la destruction d’inhumations antérieures. À ce jour, nous comptabilisons 59 sépultures modernes parmi lesquelles 6 n’ont pas été explorées. Dans 8 cas (12 individus), la mise en place de la tombe réutilise un emplacement préexistant pouvant correspondre à un caveau maçonné de type pourrissoir. Dans ces derniers, le nouveau dépôt est préférentiellement réalisé en cercueil. D’après les données d’âge au décès, on constate que la période moderne est sur-représentée par des individus immatures. Néanmoins, les investigations se limitant aux abords immédiats de l’église, l’hypothèse en faveur d’un espace réservé aux plus petits reste délicate à proposer.
Par ailleurs, ce dernier niveau d’occupation funéraire se caractérise par la présence régulière d’un dépôt monétaire accompagnant le défunt. On décompte à présent 17 monnaies réparties dans 14 sépultures. Elles sont généralement déposées dans la main droite.
En ce qui concerne les vestiges bâtis, les observations inédites s’avèrent peu nombreuses étant donné que les précédentes campagnes avaient déjà grandement permis de cerner les différentes phases de construction.
Natacha SAUVAÎTRE