Fiche
Résumé
La fouille de l’îlot des Chaudronniers à Béziers s’est déroulée entre le 12 mai et le 12 décembre 2014. Elle a mobilisé durant la phase terrain une quinzaine d’archéologues et de spécialistes. Le chantier intervient dans le cadre du plan PNRQAD (Plan National de Revalorisation des Quartiers Anciens Dégradés), sous la maîtrise d’ouvrage de la SEBLi (Société d’Équipement de Béziers et son Littoral). Le projet d’aménagement prévoyait la destruction complète d’un îlot vétuste du centre historique. Un diagnostic préalable à la fouille, assuré par le service archéologique municipal, a porté en premier lieu sur l’étude des élévations des immeubles avant démolition. Deux sondages pratiqués dans le sous-sol et des observations dans les caves modernes ont également confirmé le fort potentiel archéologique du site.
Le chantier est implanté dans le centre-ville de Béziers, à peu de distance des Halles, de la place de la Mairie et de la cathédrale. L’îlot est compris entre les rues des Chaudronniers, du général Miquel, de l’Argenterie et la rue Cordier. Topographiquement, le site est situé sur la partie haute du plateau biterrois, sur la pente sud-est de la colline Saint-Nazaire. La parcelle impactée par le projet mesure 48 m de long suivant l’axe nord-sud sur 38 m de large sur l’axe est-ouest. La superficie étudiée atteint environ 1600 m2. Les vestiges mis au jour s’étagent entre 60,5 m NGF et 53 m NGF. Cette importante différence de niveau est en grande partie due au pendage du terrain naturel, du nord vers le sud. Une très forte stratification est conservée par endroit, avec un maximum de plus de 4m conservés.
L’étude géomorphologique et la fouille ont permis de mettre en évidence l’existence d’un paléo-vallon dans l’angle nord-est de la parcelle. Cette formation naturelle qui vient entailler le relief a pu être documentée par l’ouverture de quatre sondages. Il présente un profil encaissé, dont la paroi ouest a pu être nettement observée, avec une profondeur d’environ 5m. Il s’agit du lit de la source pérenne de l’Embroucadou dont la résurgence se situe à 120 m au nord de notre site. Cette impressionnante dépression naturelle a permis la conservation d’une très forte épaisseur de niveaux archéologiques, certains en place, d’autres perturbés, principalement protohistoriques.
Les vestiges mis au jour sur le site de Chaudronniers démontrent une occupation continue depuis le premier âge du Fer jusqu’à nos jours. Un découpage chronologique en 11 phases a pu être effectué (fig. 1), les vestiges observés durant la fouille appartenant principalement aux huit premières phases : les phases 1 à 4 concernent la Protohistoire ; les phases 5 à 7 couvrent l’Antiquité du Haut-Empire au VIIe siècle ; les phases 8 à 11 s’étendent depuis le XIe siècle jusqu’à la période actuelle.
La période du Bronze final n’est représentée sur le site que par quelques restes céramiques recueillis dans un niveau de paléosol conservé partiellement au sommet du terrain naturel. Aucune structure distincte n’a cependant pu être rattachée à cette période.
La première phase d’occupation structurée peut-être datée autour de 600 av. J.-C. Organisée en bordure ouest du vallon, alors encore en eau, les vestiges se limitent à trois fosses et une tranchée palissadée. L’une des fosses présente le profil caractéristique d’un silo. Il a livré un mobilier abondant.
La seconde phase d’occupation, entre 450 et 350 av. J.-C., se caractérise tout d’abord par des travaux de grande ampleur dans l’emprise du vallon. Des masses conséquentes de remblais sont apportées, probablement lors d’un chantier collectif, pour assécher ce secteur. Sur ces niveaux, l’occupation s’organise, autour d’un secteur artisanal installé dans l’angle nord-est de l’emprise. Trois fours ont pu être mis au jour et fouillés intégralement (fig. 2). Le four 301, d’un diamètre de 0,70 m, est conservé sur 0,50 m d’élévation. Il est creusé dans le substrat limoneux avec une petite cheminée centrale en partie préservée. En avant du four, s’ouvre une aire de travail délimitée par un arc de cercle de 2 m de diamètre environ. De nombreux résidus d’alliage cuivreux sont pris dans les niveaux environnants et ce four peut être interprété comme une petite forge. Après l’abandon de cette première structure, un second four est mis en place. Le four 306, est encore relativement bien conservé malgré les perturbations modernes. Il se compose d’une sole ajourée encore en place sur un pilier central bâti en adobes, d’un alandier obturé par une pierre calcaire et d’une faible élévation du dôme supérieur. Il mesure 1,30 m de diamètre et présente deux phases principales de réfection. La nature précise de la production n’a pas pu être déterminée. À peu de distance, un troisième four a pu être observé. Il est fortement tronqué par les constructions modernes et n’a pas pu être interprété. Ce secteur artisanal fonctionne entre 425 et 275 av. J.-C. En terme de mobilier, les productions locales de céramiques communes sont majoritaires, associées à de la céramique grecque importée. Les restes d’une construction sont présents à l’ouest de ce secteur artisanal. Il n’en subsiste principalement que les niveaux de destruction répandus autour d’un négatif de sablière.
La phase 3 (350-300 av. J.-C.) est marquée par la reprise du remblayage du vallon avec un aplanissement du relief. Dans la partie nord du site, les niveaux de cette phase se caractérisent par la présence abondante de restes de terre crue effondrée. Présentant un état de dégradation avancée ou bien accidentellement cuite, ces vestiges constituent le témoignage important d’une architecture en terre. Quelques solins de pierre massifs sont conservés et plusieurs petits foyers de type domestique composés d’une sole rubéfiée sur radier de galets ou tessons ont également été découverts en correspondance de ces niveaux.
Après un hiatus d’un siècle, la phase 4 marque la reprise de l’occupation sur le site au IIe s. av. J.-C. Elle correspond à l’installation des Gaulois Longostalètes sur la colline biterroise. Le vestige le plus important de cette période se situe dans la partie sud du site. Il s’agit d’un vaste fossé creusé dans le substrat rocheux (fig. 3). Il mesure 5,30 m de large à son ouverture conservée et entaille le substrat rocheux sur 2 m de profondeur en moyenne. Il traverse l’emprise sur 20 m de longueur. Il peut être interprété comme une limite défensive et, dans l’état actuel des connaissances, il semble circonscrire les points de découverte contemporain à Béziers. Deux creusements quadrangulaires prennent également place au fond de ce creusement. Enfin quelques deux solins et quelques niveaux d’occupation morcelés sont présents dans la partie nord du site pour cette phase 4 qui s’achève avec la fondation de la cité romaine en 36 av. J.-C.
Au cours de l’antiquité le site connaît un aménagement d’ampleur avec la construction d’un édifice de spectacle, un théâtre, dont il reste d’importants vestiges (fig. 4). Il est conservé principalement dans la partie sud du site où les caves modernes ont exploité les arases des murs antiques conservés par endroits sur 2,50 m d’élévation. L’implantation du monument tire profit de la déclivité naturelle pour asseoir les gradins en pente. La fenêtre de fouille est centrée sur l’angle sud-est de la construction en demi-cercle. Les vestiges conservés sont ceux d’une travée radiale couverte en partie d’une voûte rampante qui supportait la cavea (fig. 5). L’aditus, le couloir d’accès principal en direction de l’orchestra peut être restituée entre deux arases, ainsi que l’emplacement d’une basilique latérale, d’un parascaenium et le départ de la scène. L’axe du mur de fond de scène nous est fourni par un parement situé dans l’angle sud-est du chantier. Les vestiges mis au jour permettent de restituer un édifice d’un rayon de 80 m de diamètre environ.
Les murs sont bâtis en petit appareil de moellons calcaires extrêmement régulier. La mise en œuvre est mixte avec l’insertion de blocs monumentaux dont la fonction architectonique est encore à définir. Quelques blocs sont encore en place et de nombreuses empreintes sont conservées sur le mortier des arases nous permettant d’en restituer l’emplacement.
Le mur nord de la première travée s’étend sur 20 m de long. La voûte conservée à l’extrémité ouest de la travée présente un pendage de 11,5 %. Elle est réalisée sur un coffrage de planches dont les empreintes sont encore visibles.
Le théâtre est équipé d’un réseau de caniveau pour évacuer les eaux de ruissellements qui s’accumulent dans l’orchestra (fig. 6). Les canalisations sont réalisées en une seule fois avec la construction des murs de l’édifice. Suite à un probable repentir dans le projet, la canalisation serpente depuis la première travée jusque dans l’aditus où elle sort de l’emprise. La couverture de la structure est constituée de larges dalles de calcaire.
Trois massifs de maçonneries en grande partie tronqués par les creusements d’époque médiévale matérialisent l’axe d’une seconde travée radiale au nord du mur 73. Enfin, complètement au nord de l’emprise de fouille, deux imposantes fondations de 2,50 m de côté prennent place sur l’arc de cercle théorique du mur périphérique (fig. 7).
De très nombreux éléments de décor lapidaire polychrome ont été mis au jour : fragment de corniche, chapiteau, entablement, plinthe, éléments de dallage, etc.
La construction de cet édifice doit advenir dans le courant du Ier siècle (phase 5). Au cours du IIe siècle (phase 6), plusieurs fosses et des remblais semblent indiquer une phase de restauration dans le bâtiment de scène. Enfin, durant la phase 7 qui s’étend du IVe au VIIe siècle, le théâtre a fait l’objet d’une spoliation extensive de ces maçonneries au moyen de grandes fosses et tranchées.
Après un abandon relatif de la parcelle, l’occupation reprend sur le site dans le courant du Xe siècle. Entre le XIe et le XIIIe siècle (phase 8), une aire d’ensilage se développe sur toute l’emprise de la fouille (fig. 8). Une soixantaine de structures de stockage ont pu être intégralement fouillées. Plusieurs fosses et tranchées de récupération se répartissent également au niveau des vestiges antiques. Une inhumation simple se situe dans la partie centrale du site. Les restes d’une construction avec un sol de terre battue remontent à cette époque. Un baquet en bois contenant de la chaux, probable témoin d’une activité de transformation des peaux animales, est conservé dans l’emprise de ce petit bâtiment dont il ne reste que quelques tronçons de mur arasés. Une seconde construction sur solins se caractérise par des niveaux de foyers successifs, dont la fonction précise n’a pu être déterminée.
Durant les phases suivantes (9 et 10), la parcelle se couvre progressivement d’habitations à étages qui ont pu être étudiées en détail lors du diagnostic. Seuls quelques tronçons de murs sont conservés dans le sous-sol lors de la fouille.
La fouille du site des Chaudronniers a permis la mise au jour de vestiges importants du patrimoine biterrois. Les niveaux protohistoriques sont riches en mobilier et comportent des structures artisanales très intéressantes pour la période. La cité antique s’enrichit d’un édifice de spectacle, à peu de distance du forum théorique et de l’amphithéâtre, complétant la parure monumentale. Enfin l’époque médiévale est marquée par un investissement important de la parcelle pour l’établissement de structures de stockage, autour d’un petit bâtiment dont la fonction n’est pas claire.
Raphaël MACARIO