Fiche
Résumé
La parcelle cadastrale 254, section AB située au Bas du Fort, commune de Gosier a fait l’objet en 2008 d’un projet de construction de logements par la SCI Bleu de Mer. Le site identifié à cette période comme étant la batterie Choisy a été diagnostiqué en octobre par Jérôme Briand, responsable scientifique de l’INRAP. Huit tranchées ont alors permis de collecter du mobilier attribuable aux XVIIIe et XIXe siècles et de repérer une vingtaine de structures aux abords immédiats de la batterie (trous de poteau et maçonneries). L’intérêt de ces vestiges pour l’histoire militaire de la Guadeloupe a justifié une prescription d’opération d’archéologie préventive. Celle-ci a été réalisée en novembre 2008 par le bureau d’étude Hadès. 13 jours ont été alloués à 4 archéologues pour fouiller une surface de 615 m². Les études post fouilles ont été réparties entre divers spécialistes : analyse du mobilier céramique (I. Gabriel), mobilier métallique (M. Linlaud), étude documentaire (J. Vidal). L’ensemble des résultats renouvellent considérablement la connaissance de cette fortification.
La batterie d’artillerie est implantée sur la côte, à l’extrémité d’une anse appelée Grande Baie. Le relief correspond à un plateau de récif corallien essentiellement constitué de madrépores. Il domine l’océan d’environ 3 m. Avant les opérations archéologiques, le terrain était aménagé pour des activités sportives proposées par l’hôtel Fleurs d’Épée. Des vestiges de la fortification sont conservés en élévation. Ils forment un demi-cercle de 40 m de diamètre et consistent en une disposition rayonnante de 5 embrasures de tir abritées par un parapet. L’épaisseur du parapet avoisine 8 m. La plateforme de tir est ainsi réduite à un demi cercle d’approximativement 24 m de diamètre. Le parapet est taluté. Il s’élève de 0,80 m à 1,80 m de haut. Les terres sont contenues par des murs en appareil incertain ou en assises irrégulières de moellons de calcaire local liés par un mortier de chaux (phase I a). Ces maçonneries mesurent 0,63 à 0,69 m d’épaisseur. L’analyse stratigraphique de ces élévations a en outre permis d’identifier les deux extrémités du parapet comme des reconstructions (phase II). L’observation est confirmée par la découverte des fondations de l’une des extrémités dans l’emprise de la fouille. Les encadrements des embrasures de tir sont montés en pierre de taille. La roche exploitées un conglomérat d’origine volcanique. Ils intègrent la première phase. Les ouvertures sont bouchées. La batterie a donc subi une phase de transformation (phase III). A l’intérieur de cette fortification, six maçonneries ont été mises au jour. Quatre d’entre elles sont identifiables à des murets de 0,50 m d’épaisseur conservés sur 0,20 m de hauteur (M1, M18, M20, M22). Elles sont postérieures aux maçonneries primitives de la batterie et délimitent un sol empierré (phase I b). La surface de ce dernier est irrégulière mais approximativement plane. Elle correspond à l’aire de manœuvre des canons sur la plate forme de tir. Un sondage établi dans l’axe d’une embrasure de tir a révélé une zone rubéfiée à l’emplacement d’une bouche de canon. Cette rubéfaction résulterait de l’importante température provoquée par les salves. Elle ne suffit pas pour attester le déroulement de combats car des tirs d’entrainement ne peuvent être exclus. En revanche, plusieurs fragments de boulets découverts lors du diagnostic et durant la fouille contribuent à ne pas écarter cette hypothèse. Les deux autres maçonneries sont très arasées. Elles mesurent 0,50 m d’épaisseur et forment une portion de cercle d’environ 7,60 m de diamètre. Ces constructions se superposent aux murets de la plateforme de tir. Elles sont donc postérieures. La fonctionnalité de ces constructions reste actuellement difficile à définir. L’hypothèse la plus vraisemblable serait des plateformes de tir rehaussée. Elles témoigneraient ainsi d’une adaptation des défenses répondant à l’évolution de l’artillerie. L’abandon et la destruction de ces structures ne peuvent être déterminés précisément compte tenu de l’affleurement de leurs vestiges et des pollutions occasionnées par les occupations modernes.
Une cavité creusée dans le rocher a été partiellement dégagée en bord de fouille. Elle est située en retrait, au nord des plateformes et approximativement au centre de la batterie. L’ampleur du creusement demeure ignorée. La profondeur avoisine 1,40 m. Une descente est agencée en pente. Cet aménagement exclut l’hypothèse d’une simple extraction de pierre. La cavité est actuellement considérée comme une éventuelle poudrière. La nature du comblement, essentiellement des gravats de terre et d’éclats calcaire, n’offre aucune possibilité d’estimer sa période d’abandon. Dans l’aire au nord de la batterie, une série de trous de poteau a été dégagée. Creusés dans le substrat calcaire, ils forment un ensemble plus ou moins étirés à partir de la sortie de la « poudrière », sur environ 20 m selon un axe sud ouest/nord est. Leur fonctionnalité et leur chronologie demeurent incertaines, mais elles pourraient être liées à l’occupation militaire. La corrélation avec un habitat, même sommaire peut difficilement être établie; l’existence d’un retranchement en palissade est plus probable. La présence concomitante de plusieurs trous de piquets inciterait éventuellement à la concevoir comme une succession de gabion ou « gabionnade ». La couche de terre végétale recouvrant cette aire n’excédait pas 0,20 m d’épaisseur. Elle cumulait indistinctement les niveaux d’occupation caractérisés par la présence d’un mobilier attribuable aux XVIIIe, XIXe et XXe siècles. A noter que cette couche a été en grande partie décaissée mécaniquement au XXe siècle, probablement lors de l’aménagement des aires destinées aux activités sportives de l’hôtel. Le terrassement a consisté à aplanir la surface en poussant les terres, voire en décaissant la surface du rocher. Les remblais ainsi créés ont été poussés vers l’est de manière à combler une dépression naturelle du terrain. Une chaussée et son fossé ont été à peine observés au nord-ouest de l’emprise de fouille. Orientée nord sud, la voie était probablement destinée à desservir la batterie d’artillerie. La chaussée est constituée d’un blocage d’éclats de calcaire local et mesure près de 2,20 m de large. Le fossé mesure jusqu’à 1,20 m de large et 0,60 m de profondeur. Il a connu trois phases de comblement et probablement un curage intermédiaire. Le dernier comblement correspond à un important dépotoir incluant essentiellement des rebus de consommation domestique, mais également des fragments de boulets. Ces rejets témoigneraient d’une occupation prolongée voire continue du site pendant les XVIIIe et début du XIXe siècle et donc liée à la défense militaire de ce secteur.
La confrontation de l’ensemble de ces informations et de la documentation a abouti à une nouvelle identification de cette batterie d’artillerie. Il s’agit de la batterie Dauphine qui tire son nom de la toponymie « Pointe Dauphine » signalée sur la carte des Ingénieurs du Roy de 1764. Proche du fort Fleur d’Épée, elle intègre en réalité une ligne de défense autour du Fort Louis et contribue avec quatre autres batteries à couvrir la passe de la Pointe à Pitre. Cette stratégie militaire a été envisagée dès la fin du XVIIe siècle. Le fort Louis est érigé en 1692. Les premières batteries sont construites avant 1720, mais la batterie Dauphine n’est connue qu’à partir de 1735. A cette période, elle est dénommée batterie Sergeau. Un plan dressé le 14 février 1759 lors d’une attaque par un escadron de vaisseaux anglais y révèle la présence de 7 canons. La batterie est alors assaillie entre les feux croisés du Bernick et du Winchester. La destruction d’une partie du parapet est probablement imputable à cet évènement. En effet, une carte dressée en 1764 par Rochemore, sous directeur des fortifications signale que la batterie désormais appelée Dauphine est munie de seulement 5 canons. En outre, un plan détaillé de la batterie Dauphine levé par Muyssart Desobeaux, lieutenant colonel d’artillerie en 1768 présente effectivement 5 embrasures. Les extrémités du parapet ont été reconstruites. Ce plan correspond parfaitement aux vestiges conservés en élévation. La batterie Choisy située plus à l’est est munie de seulement 3 canons. Un second plan réalisé vers 1769 indique en revanche que la batterie Dauphine est percée pour 6 canons. Cette contradiction dans les témoignages résulterait peut être du mauvais état des maçonneries. Elle permettrait ainsi de restituer une 6e embrasure à l’extrémité orientale. Sur ce même plan, un « redent flanqué de deux batteries d’une pièce de canon chacune »est figuré à l’ouest, à proximité immédiate. Cet organe de défense supplémentaire se perçoit encore dans la topographie actuelle. Un «bâtiment de l’hôpital dans lequel se trouve un logement pour le chirurgien» apparait en retrait. L’occupation de cet établissement pourrait être à l’origine des couches dépotoirs comblant le fossé. Enfin, un document intitulé «Mémoire sur l’armement actuel des batteries des costes des isles Guadeloupe et dépendances» fournit quelques indications sur l’état de la batterie en 1773. « Sa situation est à droite du retranchement de la prérie au bas du fort Louis. Elle est en fer à cheval avec épaulement de maçonnerie et du contenu de 6 embrasures défendant la passe des Ilets à Cochon et à Pitre». A cette date, la batterie est seulement munie de 5 canons en fer : 1 pièce de calibre 26, 1 pièce de calibre 20 et 3 pièces de 18.
La chronologie de la désaffection de cette fortification demeure ignorée. Elle participe encore au dispositif défensif en 1829. Elle est alors dénommée batterie Saint Joseph. Peu de temps après, la plupart des défenses côtières présentent un caractère obsolète suite à l’apparition de l’artillerie à canon rayé. En 1859, une commission de défense des côtes déclasse un grand nombre de batteries. La batterie Sergeau, puis Dauphine et finalement Saint Joseph intègre probablement leur liste.
Patrick BOUVART