Fiche
Résumé
2015
Située sur la commune de Proupiary, l’abbaye cistercienne de Bonnefont a été un établissement prospère aux XIIIe-XIVe siècles. Fondée en 1136 par des moines venus de Morimond, l’abbaye est généreusement dotée par les seigneurs locaux jusqu’au XIVe siècle. À l’époque moderne, l’établissement vit un net déclin, avec la perte d’une partie de son temporel et de ses moines. Après leur vente comme biens nationaux en 1791, les bâtiments monastiques servent de carrière : le site est démonté et vendu par morceaux, surtout à partir de 1833. Ne résistent à ce dépeçage que la porterie, le bâtiment des convers (à l’ouest du cloître) et le pigeonnier – qui s’effondre en 1974.
En 1983, le site est racheté par l’Association pour la Sauvegarde de l’Abbaye de Bonnefont et la Société des Études de Comminges. Des travaux de décaissement mécaniques sont alors engagés, faisant disparaître la plupart des niveaux archéologiques. Trois fouilles de sauvetage sont néanmoins menées entre 1984 et 1986, mais elles se situent un peu à l’écart du cloître, au sud-est, à l’emplacement d’un bâtiment fortifié qui pourrait être le palais abbatial de la fin du Moyen Âge. En parallèle, des recherches déjà entamées à la fin du XIXe siècle pour identifier et acquérir les éléments dispersés du cloître se poursuivent. Les associations caressent le dessein de pouvoir enfin reconstruire une partie de l’abbaye, à l’emplacement du cloître. Ainsi, les bâtiments encore en place sont restaurés et certains supports architecturés sont remontés in situ (vasque du lavabo, colonnes de la salle capitulaire, enfeu, etc.).
Après un premier projet avorté en 1995, l’entreprise est relancée suite à la cession du site pour un euro symbolique à la communauté de communes de Saint-Martory. Bernard Voinchet (ACMH) propose à la fin de 2014 un projet de reconstruction de la façade de la salle capitulaire et de l’aile est du cloître. En effet, les baies géminées du chapitre, autrefois remployées sur la façade de l’ancienne gendarmerie de Saint-Martory, ont été déposées dans les années 1990 et la porte, actuellement portail de l’église de cette même ville, ferait l’objet d’une copie à l’identique (fig. 1). Quant au cloître, ce qui correspond à un peu plus de la longueur d’une galerie reconstruite dans le square Azémar de Saint-Gaudens, pourrait être démonté et remonté à son emplacement d’origine.
Les travaux sont engagés sans délais et la baie géminée nord de la salle capitulaire est érigée dès le début de l’année 2015 (fig. 2). Cependant, la restitution fait débat et soulève quelques inquiétudes quant à sa fidélité à l’état initial des constructions. Sur la demande de DRAC de Midi-Pyrénées, la communauté de communes a retenu le bureau Hadès afin qu’il réalise une opération archéologique de sondages dans la partie orientale du cloître, accompagnée d’une réflexion sur les restitutions possibles de l’élévation de la porte de la salle capitulaire. Menée sur trois jours à une archéologue, l’opération comprenant huit sondages (fig. 3) s’est déroulée du 3 au 5 mars 2015 ; un temps équivalent a été alloué à la rédaction.
Bien que modeste et malgré l’état d’arasement et de transformations récentes du site, cette opération s’est révélée relativement riche d’enseignements. Toutefois, en l’absence de niveaux de circulation conservés, les conclusions qu’elle livre comportent une grande part d’incertitude. De plus, nombre d’interrogations sont liées à la méconnaissance des éléments lapidaires disponibles (dont 146 moulurés, prêts à être remployés) et à des doutes quant à leur authenticité, puisque les collections ont été fortement manipulées au XIXe siècle.
Il a néanmoins été possible d’émettre des hypothèses au sujet des niveaux de circulation dans le cloître et dans la salle capitulaire. De plus, le piédroit sud de la porte, bien que très arasé, est suffisamment conservé pour positionner son plan avec assurance. De fait, il s’est avéré que la reconstruction d’une copie du portail de l’église ne peut être insérée entre les vestiges des maçonneries originelles et les constructions déjà réédifiées qu’au prix de certains ajustements. En largeur, les modifications à réaliser seront minimes. En revanche, la position altimétrique de la porte pose davantage de difficultés et aucune solution définitive ne peut être apportée. Le problème essentiel réside dans la question de la hauteur du soubassement sous les colonnettes du portail, qui semble avoir été surélevé d’une à deux assises au XIXe siècle – modification qui n’a pas été envisagée dans le projet de restauration. Si cette hypothèse se vérifie, la reconstruction du portail, alors abaissé de 45 cm, créerait des décrochements d’assises avec les maçonneries actuellement reconstruites ; la contemporanéité de la porte avec les fenêtres n’étant pas garantie, de telles irrégularités ne sont pas inconcevables.
Toutefois, les constructions ont été trop détruites et manipulées pour acquérir la certitude d’une restitution fidèle de leur mise en œuvre originelle. Il revient donc désormais à la DRAC de juger des choix à adopter, en fonction des enjeux patrimoniaux, politiques et financiers, que ceux-ci ne manqueront pas de soulever. À l’avenir, un suivi archéologique systématique des travaux engagés sur le site permettrait de mieux connaître les maigres vestiges qui y subsistent et éviterait bien des déconvenues.
Mélanie CHAILLOU
2016
Le plan d’ensemble de l’abbaye de Bonnefont à Prouprairy est aujourd’hui en grande partie connu grâce aux travaux de B. Jolibert et G. Rivière. Néanmoins, nous n’avons dans le détail qu’une idée extrêmement limitée de sa réalité. Il nous reste quelques rares relevés et dessins réalisés au cours du XIXe siècle, figurant des élévations extérieures des constructions, avec plus ou moins de réalisme et de précisions, mais rien ne permet réellement d’approcher ce qu’a pu être cet ensemble architecturalement, historiquement et archéologiquement parlant. Nous connaissons quelques faits marquants de son histoire générale et de l’histoire de sa construction, mais, dans le détail, on ne sait comment elle évolue réellement.
En 1992, un premier projet de remontage de la salle capitulaire est proposé par Bernard Voinchet. Il est ajourné mais sera relancé suite au rachat de l’abbaye par la communauté de communes du canton de Saint-Martory en 2010. Elle fait depuis l’objet d’un projet de réhabilitation et de mise en valeur sous la maîtrise d’œuvre de B. Voinchet, architecte en chef des monuments historiques. Il a notamment pour dessein le remontage de la galerie est du cloître par le rachat, déplacement ou la copie des éléments lapidaires qui la composaient. Ce projet a donc engendré une nouvelle campagne de sondages archéologiques (fig. 1), qui fait suite à celle déjà réalisée en 2015 par M. Chaillou, laquelle portait essentiellement sur la jonction entre la salle capitulaire et la galerie est du cloître.
L’objectif de cette nouvelle opération était, en premier lieu, de mettre au jour par le biais de sondages les fondations des piliers d’angle sud-est et nord-est du cloître (fig. 5), et par conséquent de restituer la longueur et la largeur du mur-bahut oriental et de déterminer si ce dernier était scandé ou non de piliers intermédiaires. Les sondages ont permis de restituer un mur-bahut de 25,13 m de longueur en fondation et 24,12 m en élévation (de pilier d’angle à pilier d’angle) pour une largeur de parement à parement de 90 cm. Il était scandé de piliers intermédiaires distants de 3,34 m, délimitant cinq travées séparées par des piliers d’environ 1,10 m de large, chacune probablement dotée de deux arcades dont les colonnes devaient être espacées de 1,175 m.
L’opération visait également à inventorier le mobilier lapidaire conservé au dépôt de Saint-Martory et à procéder à un récolement avec l’inventaire dressé en 1990 par B. Jolibert et les informations contenues dans le mémoire de master I de Loys Quiot, lequel porte sur la dispersion de l’abbaye de Bonnefont. La méconnaissance de la composition architecturale des bâtiments composant l’ensemble abbatial constitue bien évidemment un obstacle majeur pour l’identification et le rattachement du mobilier lapidaire. Les propositions ne peuvent donc reposer que sur la période de construction et d’occupation du site, et par conséquent sur les caractères stylistiques qui peuvent être observés sur le mobilier. Néanmoins, là encore, les interprétations peuvent être compliquées par les productions du XIXe siècle, lesquelles ont reproduit certaines pièces, peut-être cassées ou altérées au moment du démontage. B. Jolibert avait par ailleurs déjà identifié des faux datant du XIXe siècle, notamment dans les arcs des baies de la façade de la salle capitulaire, tout comme B. Voinchet dans le cloître de Saint-Gaudens. Le récolement des éléments lapidaires conservés dans le bâtiment des convers ou au dépôt lapidaire de Saint-Martory n’est pas donc pas chose aisée en raison de toutes ces incertitudes, mais également de par le fait que beaucoup de pièces ont également été vendues comme des éléments architecturaux de feu l’abbaye, mais dont l’authenticité est loin d’être acquise.
De même, on ne connaît finalement que dans les grandes lignes la dispersion et le devenir des matériaux, et en dehors des morceaux entiers des constructions abbatiales qui ont pu être remises en œuvre ailleurs, on est aujourd’hui incapable d’approcher le démantèlement du « petit lapidaire ». À cet égard, plusieurs pièces sont notées dans l’inventaire dressé par B. Jolibert en 1990 comme issues du musée de Saint-Gaudens, mais la provenance réelle n’est pas précisée.
Néanmoins, le rattachement de certaines pièces a pu être proposé, notamment dans le cas des chapiteaux géminés du cloître, mais surtout d’éléments architecturaux potentiellement en œuvre dans la salle capitulaire. Il reste néanmoins de nombreux éléments qui ne semblent appartenir ni à l’un ni à l’autre, probablement des faux dans certains cas.
Cecilia PEDINI