Fiche
Résumé
À l’occasion d’importants travaux destinés à la création d’un auditorium dans les soubassements du château de Bournazel, une vaste excavation pratiquée dans la cour du château a mis au jour les fondations des ailes qui le composent, afin de procéder à leur assainissement (fig. 1). Les conditions d’intervention difficiles appelaient un changement d’échelle pour résoudre la problématique d’accumulation des eaux dans les fondations. Les observations qui en résultent, inscrites dans une topographie globale de l’environnement du château, ont permis de mieux appréhender les modalités de la construction du château Renaissance à partir de 1545, mais également de comprendre les singularités de son positionnement au sein du modeste bourg de Bournazel.
Situé sur un important itinéraire menant de Rodez à Figeac, en usage depuis l’Antiquité jusqu’aux Temps modernes, le site de Bournazel peut se prévaloir d’une genèse alto-médiévale, puisqu’il est mentionné dans une charte datée de 820. Cette dernière acte la donation des « deux églises » de Bournazel par l’empereur Louis le Pieux à l’abbaye de Conques, à laquelle sont également assujettis, au moins dès le XIIe siècle, douze manses. La description de ces derniers et le parcellaire du bourg esquissent un enclos ecclésial autour duquel s’organise l’habitat (fig. 2), constituant, en rebord d’un ancien vallon, un village ecclésial.
Sans doute simples tenanciers d’un de ces manses, les Mancip de Bournazel parviennent à s’extraire de leur condition initiale et profitent tant de l’affaiblissement de l’abbaye de Conques dès la fin du XIIe siècle que de l’irruption du lignage des Armagnac en tant que comtes de Rodez, au début du XIIIe siècle, pour se constituer un patrimoine, composé de petits fiefs disséminés dans les vallées anciennement assujetties à l’abbaye ou en périphérie de Rodez. Cette patiente politique leur permet d’accéder à l’anoblissement en 1321.
Au cours du XIVe siècle et jusqu’au milieu du siècle suivant, bien qu’ils rendent encore hommage à l’abbaye de Conques, ils s’inscrivent dans le sillage des turbulents Armagnac, mais s’en distancent aux prémices de leur déchéance. Ralliés au roi de France, reniant alors leurs anciennes fidélités, les Mancip de Bournazel accèdent au service de l’État. De ce nouveau rang résulte sans doute la construction, sur leur ancien manse de Bournazel, d’un vaste logis, accosté d’une tour, à la fin du XVe siècle (fig. 3). Dans le premier tiers du XVIe siècle, le lignage s’unit à celui des Boysson, négociants à Aubin et Figeac, de noblesse récente mais que leurs activités financières auprès de la Curie romaine ont considérablement enrichis.
Jean de Boysson tire alors profit de la richesse de sa famille et du prestige attaché au lignage de son épouse, Charlotte Mancip, pour se retirer des affaires et se consacrer à vivre noblement. À partir du manse originel des Bournazel, au voisinage immédiat de l’église, il s’affranchit des contraintes topographiques et exploite les vacances du parcellaire pour édifier un château à la française, empreint d’ornements inspirés par l’Antiquité romaine (fig. 4). Pour desservir l’entrée de ce palais, les dépendances redessinent un cheminement en deux cours, dont les accès sont monumentalisés par des tours cylindriques, dont une est conservée de l’ancien logis médiéval. Leur allure martiale, exagérant l’ancienneté du lignage, contraste avec l’élégance du château. La scénographie n’est pas le seul enjeu : ce nouvel accès est indépendant du bourg et rompt le dernier lien de subordination entre les seigneurs de Bournazel et le pôle ecclésial.
Laure Leroux