Fiche
Résumé
Le site archéologique de la Tour d’Albon, installé sur un rebord de la terrasse orientale dominant la vallée du Rhône, entre Vienne et Valence, constitue l’un des plus importants et des plus anciens châteaux du département de la Drôme. Bien que son appellation, liée à la présence d’une tour installée sur une motte artificielle (fig. 1), soit très réductrice, c’est bien d’un vaste ensemble de bâtiments et de fortifications qu’il s’agit, formant la première résidence des comtes d’Albon. Les diverses campagnes de fouilles, menées dans les années 1990 et 2000 par une équipe dirigée par Jean-Michel Poisson et Johnny de Meulemeester (†), ont révélé la complexité et l’ancienneté de ce site castral majeur, connu pour être le « berceau du Dauphiné » médiéval. Ainsi, hormis la tour et le rempart dans lequel prend place la supposée « barbacane », ces fouilles ont révélé l’existence d’une chapelle, d’un complexe palatial formé d’une grande salle (aula) jouxtée d’appartements privés (camera) et d’un bâtiment utilitaire (communs) construit postérieurement.
Après ces années de recherche, la communauté de communes Rhône-Valloire a souhaité restaurer et valoriser le site afin de l’ouvrir au public. Dans le cadre de ces travaux, le service régional d’Archéologie de Rhône-Alpes a prescrit une opération de fouille archéologique préventive destinée à compléter les informations recueillies lors des recherches antérieures. Cette prescription touchait en premier lieu la tour, qui n’avait jusqu’alors pas pu être relevée et étudiée en détail, ainsi que la motte castrale, qui devait faire l’objet de travaux liés à l’installation d’une passerelle pour la circulation du public. Ces travaux avaient pour objet la stabilisation des murs de la tour et des maçonneries dégagées anciennement, la restitution des ouvertures de la tour, la restauration de la « barbacane », le creusement d’un drain périphérique le long du mur sud de la chapelle, l’installation de spots d’éclairage au pied de la tour et enfin l’aménagement d’une passerelle sur les flancs ouest et nord de la motte.
Bien que réduite en surface, très dispersée dans l’espace en différents points du site et très contrainte par les travaux, cette opération a permis de recueillir des informations encore inédites sur l’occupation du site. Les principaux apports concernent la tour, mais des éléments renseignant l’occupation et la constitution de la motte ont également été recueillis.
L’un des enjeux de cette opération était de recueillir des éléments d’informations sur la topographie originelle des lieux, et en particulier de l’éminence sur laquelle prend place la tour. De ce point de vue, les résultats sont plutôt décevants car le substrat n’est apparu qu’à de rares occasions dans les différentes tranchées effectuées. Néanmoins, les creusements pratiqués sur la motte ont mis en évidence l’existence d’un relief naturel préexistant qui indique donc que le tertre actuellement visible n’est pas entièrement artificiel. Toutefois, il est impossible d’en connaître la topographie précise.
Si les premières traces d’occupation reconnues lors des fouilles précédentes sont datées des IXe-Xe siècles, les vestiges bâtis les plus anciens repérés en 2012 semblent remonter à l’époque de la construction du complexe palatial, au XIIe siècle.
Les plus significatifs correspondent aux restes d’un espace construit attenant à la camera sur son flanc est (fig. 2). On ignore s’il fut édifié dès l’origine du complexe palatial, mais sa destruction est concomitante de la mise en place de la motte. Les remblais qui scellent ce bâtiment ont livré une monnaie qui offre pour la première fois un élément de datation absolue concernant la mise en place du tertre et de la tour qui le surmonte. Il s’agit d’un double denier des archevêques de Vienne, frappé entre 1240 et 1300 (fig. 3).
Par ailleurs, un lambeau de chape de mortier a été mis au jour à proximité du mur sud de la chapelle. Il indique peut-être l’existence d’un bâtiment accolé à celle-ci. S’il est difficile de dater précisément ce sol, il est assurément antérieur à la mise en place de la motte.
Par ailleurs, l’éminence préexistante supportait peut-être déjà une tour, même si aucun indice d’un ouvrage de ce type n’a pu être mis en évidence dans les sondages pratiqués au sommet de la motte. Ainsi, en l’état des connaissances, l’occupation sommitale la plus ancienne est constituée par la tour actuellement visible, laquelle a vraisemblablement été édifiée dans le courant du XIIIe siècle.
L’étude archéologique de la tour maîtresse, ouvrage le plus remarquable du site, tant du fait de sa situation de commandement au sommet de la motte, de ses dimensions imposantes (environ 7,50 m de côté et 12 m de hauteur) et de la belle qualité constructive de son parement externe, a permis d’obtenir des informations sur la nature, la fonction et l’évolution de la structure dans le contexte du site castral.
L’ouvrage semble avoir été édifié dans le cadre d’une unique campagne de construction, subdivisée en trois phases distinctes. Dépourvue d’attributs véritablement résidentiels, la tour fut bâtie sur le modèle des tours-beffrois du territoire français des XIIe-XIIIe siècles. Elle est étagée sur quatre niveaux. Le rez-de-chaussée, ouvert uniquement sur l’extérieur par le biais de deux jours, était certainement destiné au stockage. L’accès à l’intérieur de la tour s’effectuait au deuxième niveau grâce à une porte à laquelle on accédait par une échelle. Établi sur un plancher, il était défendu par une archère à niche. Le troisième niveau, partiellement sur plancher, était également défendu par une archère à niche. Enfin, il est possible de restituer un quatrième niveau de terrasse, non conservé, qui jouait le rôle de poste d’observation. L’identification d’une niche d’archère à coussièges, condamnée, pourrait resserrer la période de construction de la tour autour du dernier quart du XIIIe siècle. Ainsi, la tour d’Albon et la motte sur laquelle elle est posée, symboles de la nouvelle autorité politique et militaire de la maison de Bourgogne sur le Dauphiné, furent probablement édifiées à cette époque par les Dauphins du Viennois, dans le contexte d’une évolution du statut du château comtal, suite à l’extinction de la maison originelle d’Albon.
La construction de la tour s’est visiblement accompagnée de la mise en place d’un système défensif visant à enclore et protéger toute la partie occidentale du site. Toutefois, il existait sans doute une enceinte plus ancienne, mais la datation des éléments de défense du site reste encore un problème épineux.
Si la création d’un large fossé sec a permis d’ériger la levée de terre qui barre le site sur son flanc le plus exposé, aucun indice ne permet de savoir à quand remonte cet aménagement. De même, le creusement du fossé a sans doute contribué à la constitution de la motte, accentuant ainsi le relief préexistant. Les sondages réalisés à flanc de motte ont permis de reconnaître différents remblais issus des dépôts alluviaux environnants, mais il est impossible de distinguer clairement plusieurs phases de remblaiement et de savoir si l’éminence naturelle avait déjà été en partie exhaussée avant le XIIIe siècle.
La datation des murs d’enceinte n’est guère plus aisée. Au nord, le lambeau de maçonnerie conservé au pied de la tour appartient peut-être au rempart qui devait se raccorder à la courtine reconnue à l’est de la chapelle lors des fouilles anciennes. Au sud de la tour, le rempart qui intègre la « barbacane » devait se raccorder à la tour maîtresse (fig. 4), même si aucune trace d’arrachement n’est visible sur cette dernière et si aucun vestige de ce mur n’est apparu dans la tranchée pratiquée au sommet de la motte. Si l’opération n’a pas permis de confirmer la présence effective d’une barbacane, elle a entériné la présence d’une porte à cet emplacement, vraisemblablement défendue par un assommoir ou une herse. Cependant, il n’est pas possible de savoir si cette porte constituait l’accès principal à l’intérieur de l’enceinte.
Par ailleurs, préalablement à l’édification de la motte, on a procédé au démantèlement de l’espace bâti jouxtant la camera sur son flanc est. Parallèlement, le mur oriental de cette salle a été doublé à sa base, sans doute en vue de le renforcer pour résister aux poussées des terres nouvellement mises en place. Au même moment, un escalier est aménagé dans l’angle nord-est de la pièce (fig. 5). Cette phase de travaux voit également l’édification d’une muraille qui se connectait visiblement à l’angle sud-est du complexe palatial (fig. 2).
Enfin, le suivi de la tranchée de drainage réalisé contre le mur sud de la chapelle n’a pas apporté beaucoup d’informations nouvelles. L’analyse du parement extérieur du mur gouttereau sud de la chapelle a confirmé le phasage proposé par J.‑M. Poisson à partir de l’étude des élévations intérieures. Ensuite, l’existence d’un drain préexistant a fait disparaître la quasi-totalité de la stratigraphie au contact de l’édifice, oblitérant ainsi les traces d’éventuelles structures qui auraient pu lui être connectées. Enfin, les seuls vestiges vraisemblablement en place en bordure de tranchée n’ont pu être fouillés en plan et ont été uniquement observés en coupe, limitant de fait leur analyse et leur interprétation.
Somme toute, on ne pourra que regretter l’aspect partiel des investigations réalisées en 2012. Fortement contraintes par les travaux d’aménagement, elles n’ont que partiellement répondu aux attentes du cahier des charges. Si le bâti de la tour et de la « barbacane » a pu être étudié en détail, le volet sédimentaire de l’intervention n’a sans doute pas tenu toutes ses promesses. De nombreux points concernant l’histoire du site restent donc en suspens, dans l’attente de futurs travaux. Ainsi, quelques maçonneries ont pu être rattachés à des éléments existants ; mais d’autres vestiges, plus ténus et observés de manière très ponctuelle, sont encore difficiles à caractériser. Ils signalent toutefois l’existence de structures plus ou moins bien conservées sur les flancs de la motte.
La vigilance devra donc être de mise si de nouveaux travaux devaient affecter le site à l’avenir. Les découvertes de 2012 confirment que la motte occulte sans doute un certain nombre de vestiges qui pourraient s’avérer d’un intérêt capital pour enrichir les connaissances sur l’histoire du château d’Albon depuis ses origines.
Benjamin MICHAUDEL