Fiche
Résumé
La fouille réalisée au lieu-dit Solférino, en périphérie nord-est de la ville de Narbonne, a été motivée par l’aménagement d’une rocade par le Conseil général de l’Aude et fait suite à un diagnostic dirigé par G. Sanchez (Inrap). Du 9 mai au 27 juillet 2012, cette opération aura permis d’étudier sur une superficie de 7 263 m2, un ensemble conséquent de vestiges appartenant pour l’essentiel à deux périodes distinctes : la Protohistoire (premier âge du Fer) et l’Antiquité (Ier-Ve siècles apr. J.-C.). Une occupation antérieure à l’âge du Fer – peut-être néolithique – n’a pu faire l’objet que d’une reconnaissance limitée.
Le site se développe à la lisière de la terrasse alluviale sur laquelle a été implantée la ville antique de Narbonne et domine ainsi de quelques mètres l’ancien delta de l’Aude et la vaste zone lagunaire qui lui était associée.
Durant la période protohistorique, une nécropole est implantée sur le site. Vingt-quatre sépultures à incinération ainsi qu’un dépôt parafunéraire du début de l’âge du Fer (725‑675 av. J.-C.) ont été fouillés. Si cet ensemble s’avère peu conséquent, il est néanmoins fort probable que l’aire sépulcrale se développe au-delà des limites de l’emprise étudiée. La mise au jour d’une nécropole du premier âge du Fer à proximité de Narbonne représente un événement important pour notre connaissance des communautés protohistoriques du Languedoc. En effet, si le site de Solférino se trouve au cœur de l’aire de répartition des nécropoles de faciès Grand Bassin I qui couvre le Bas-Languedoc audois et ouest-héraultais, aucun ensemble funéraire n’avait été jusqu’alors reconnu dans une vaste zone centrée sur l’ancien delta de l’Aude. De plus, le nombre de tombes documentées en Languedoc, pour la phase initiale du premier âge du Fer demeure relativement faible.
Les sépultures de Solférino s’avèrent tout à fait comparable à celles attestées au sein des ensembles funéraires du Bas-Languedoc et s’intègrent ainsi parfaitement au faciès Grand Bassin I (fig. 1 et 2). La nécropole de Solférino présente néanmoins certaines particularités dont l’une des plus notables réside dans la proportion conséquente de tombes à simple ossuaire qu’elle comporte. On constate cependant que ces dépôts ne sont pas implantés dans le voisinage immédiat de sépultures dotées d’un dépôt plus opulent comme c’est souvent le cas dans les autres ensembles sépulcraux de faciès Grand Bassin I. De façon plus générale, on ne retrouve pas à Solférino – l’état de conservation du site limitant certes la possibilité d’analyse de son organisation – d’agencement orthonormé, ni de regroupements distincts des sépultures. La nécropole présente une autre spécificité notable : les individus immatures y représentent pratiquement la moitié des défunts. Pour le premier âge du Fer, une telle proportion est sans équivalent dans les ensembles sépulcraux du Languedoc occidental. Si la faiblesse numérique de la population prise en compte incite à considérer cette répartition des classes d’âge avec une certaine circonspection, rien ne permet néanmoins d’expliciter cette surreprésentation.
Au-delà d’un approfondissement de nos connaissances des faciès mobiliers et des pratiques funéraires, les sépultures de Solférino nous apportent des données inédites relatives à la hiérarchisation des sociétés protohistoriques du Languedoc au tout début de l’âge du Fer. Ces tombes tendent ainsi à montrer que l’acquisition par ces communautés de la maîtrise de la métallurgie du fer s’est accompagnée d’une brusque accentuation de leur structuration sociale. En outre, la présence dans l’une des sépultures les plus opulentes de la nécropole, d’une fibule à pivot provenant de Catalogne laisse à penser que cette hiérarchisation pourrait être notamment liée à l’établissement de réseaux d’échanges – principalement dédiés au commerce des métaux – avec d’autres communautés indigènes du golfe du Lion.
Pour la période antique, l’opération de Solférino constitue la première fouille d’ampleur consacrée à la proche périphérie rurale de Narbo Martius. Les données acquises sont donc essentielles pour notre connaissance des modes de structuration et d’exploitation de ce terroir. Si la plupart des structures mises au jour appartiennent au Haut Empire, le site est néanmoins occupé jusqu’à l’Antiquité tardive. Cette occupation est à mettre en relation avec un établissement implanté juste au nord de l’emprise fouillée et qui correspond probablement à un domaine rural de type villa.
L’occupation antique du site de Solférino débute avec l’aménagement, sans doute dans la première moitié du Ier siècle apr. J.-C., d’un chemin qui a pu desservir l’établissement évoqué ci-dessus (fig. 3).
C’est aussi très probablement au début du Ier siècle apr. J.-C. qu’est édifié à une quarantaine de mètres à l’est du chemin, un bâtiment abritant un minimum de trente dolia. Cet édifice correspond vraisemblablement à un chai vinicole et fait sans doute partie de la pars rustica de la villa implantée juste au nord de la fouille.
Au sud-est du chai, se développe un vaste ensemble de structures agraires – fossés et fosses – correspondant à un espace mis en culture. Si certaines de ces structures sont d’époque augustéenne, l’essentiel du mobilier collecté renvoie aux Ier et IIe siècles apr. J.-C. La nature des cultures pratiquées n’a pas pu être déterminée.
Lors de la seconde moitié du Ier siècle apr. J.-C., s’implantent le long du chemin, un bûcher, une tombe-bûcher (fig. 4) et un dépôt secondaire de crémation. Au cours du IIe siècle, une seconde tombe-bûcher est établie au sud-est du chai, au sein de l’espace cultivé. Ces structures funéraires ont livré un abondant mobilier comprenant des objets de qualité (céramique fine, verrerie, tabletterie, orfèvrerie, coffrets et lits funéraires). Ces offrandes attestent le statut social élevé des défunts qui pourraient en conséquence faire partie de la famille propriétaire de la villa avoisinante.
Postérieurement au milieu du Ier siècle apr. J.-C., un petit édifice est érigé à moins de 5 m à l’est du chemin, au sud des sépultures évoquées ci-dessus. Malgré son médiocre état de conservation, il pourrait être assimilé à un mausolée, peut-être celui de l’un des propriétaires du domaine.
De part et d’autre du chemin, ont également été mis en évidence plusieurs ensembles de fosses de plantation de vigne de type alveus. Ces vignes sont probablement antiques comme l’attestent leurs densités de plantation. De façon plus précise, l’une d’entre elles s’avère postérieure aux sépultures du Ier siècle et du début du IIe siècle.
À la fin du IIe siècle ou au début du siècle suivant, le fossé bordier du chemin se comble, ce qui entraîne à court terme la désaffectation d’une portion de cet axe et la mise en place, à l’est de celle-ci, d’une déviation ponctuelle. L’abandon définitif de la voie n’a pas pu être daté.
L’édifice pouvant correspondre à un mausolée est, quant à lui, démantelé au cours du IIIe siècle. Cette même période voit cinq sépultures à inhumation être installées dans son voisinage immédiat. Trois d’entre elles présentant la particularité d’être étroitement superposées pourraient correspondre à un ensemble funéraire familial.
Quant au chai, il fait l’objet de profonds remaniements à la fin du IIIe siècle ou au début du siècle suivant. Il est possible que ce réaménagement soit lié au remplacement des dolia par des tonneaux, bien qu’une transformation du cellier en un entrepôt voué au stockage de productions agricoles autres que le vin soit aussi envisageable.
Durant le IVe siècle, le chai est abandonné et fait l’objet d’un important épierrement. Enfin, après une période d’abandon, sans doute assez brève, est édifié à la fin du IVe ou au début du siècle suivant, sur les vestiges du cellier, un nouvel ensemble bâti reprenant certains murs antérieurs tout en se développant vers l’ouest. Cet ensemble étant très mal conservé, il s’est avéré impossible d’en restituer le plan et plus encore de l’interpréter. Lui sont associées deux sépultures d’enfant en amphore. Cette réoccupation est de courte durée puisque aucun mobilier postérieur au Ve siècle n’a été recueilli sur le site.
Julien Vial