Fiche
Résumé
La réhabilitation de l’îlot du Four-de-l’Oratoire a nécessité une étude préalable dont le but était de mettre en évidence l’évolution urbaine à cet endroit, s’inscrivant dans la continuité des investigations déjà réalisées par F. Blanc en 2008 sur les parcelles 193, 194 et 195, composant la partie occidentale de cet îlot. Les deux immeubles concernés par cette opération se trouvent à l’extrémité nord-est, dans l’emprise de la rue du Four-de-l’Oratoire et de l’impasse du même nom.
Le plan d’occupation a considérablement évolué, puisque dix-sept états y ont été identifiés, la plupart s’échelonnant sur une période très courte. Si l’on exclut les états 1 à 3, correspondant à des niveaux antérieurs à la construction de l’îlot, ce ne sont pas moins de quatorze états successifs qui se succèdent entre le XIIIe siècle et l’époque contemporaine qui ont été mis en évidence.
Les niveaux les plus anciens confirment d’abord l’installation des occupations directement sur le substrat constitué de travertin, lequel affleure dans une grande partie de la ville, et dans lequel les Grassois ont largement puisé pour approvisionner leurs chantiers de construction.
Le sondage réalisé dans les pièces 4 et 5 a mis en évidence un niveau, peut-être de colluvionnement, comportant des indices d’occupation datant d’une période comprise entre le Bronze moyen et la fin du VIe ou du Ve siècle av. J.-C. En dépit du caractère très résiduel de cette couche, elle n’en demeure pas moins intéressante, puisqu’elle confirme une occupation grassoise à une très haute époque.
Les premières constructions sont vraisemblablement édifiées autour du XIIIe siècle, si l’on se réfère au mobilier céramique. À cette époque, un bâtiment comportant un rez-de-chaussée sous arcs bordant un espace vide à l’est et au sud est installé sur les parcelles 196 et 192 (état 4). L’étude réalisée par F. Blanc en 2008 sur la moitié ouest de ce même îlot avait suggéré l’hypothèse de la présence d’une rue à l’emplacement de la courette qui jouxte à l’ouest le passage sous arcs. La largeur de cette rue était évaluée au moins à la largeur de la courette. Le bâtiment oriental, installé plus tardivement que ceux qui se trouvent dans la moitié ouest de l’îlot, correspondrait à un premier rétrécissement de l’espace public au profit de l’aménagement privé.
Au cours de l’état 5, ce bâtiment, dont l’emprise était vraisemblablement limitée au sud par le mur 22900-22800, et dont l’arc ouvrait sur un espace vide, est agrandi. Le passage sous arcs est fermé au sud par la construction du mur 22600. Là encore, il s’agit d’une conquête sur l’espace public vraisemblablement au profit de l’espace privé. La parcelle 192 et la partie nord-est de la parcelle 186 sont toujours des espaces ouverts, la première correspondant à un espace vide entre deux façades (22600-41500 et 41300). Les arcs et les deux façades présentent probablement jusqu’à l’état 6 une emprise sur l’îlot légèrement plus importante que ce que nous pouvons observer actuellement. La destruction partielle des murs pour l’installation de structures venant resserrer (état 6) puis clôturer ces espaces (état 7) permet de supposer qu’initialement ils se développaient peut-être un peu plus sur les parcelles 197 et 186.
Il faut donc imaginer au départ un grand espace vide, en bordure duquel se trouvent deux bâtiments, dont un possède un rez-de-chaussée sous arcs, dont on sait grâce au sondage qu’une calade y a été posée après la construction des arcs. Les parcelles 197 et 186 correspondent alors à un espace complétement vide et restent ainsi jusqu’à l’état 10.
Au cours de l’état 7, ce premier bâtiment est restructuré. Certains arcs sont arrachés (pièce 3), les autres sont bouchés (pièces 4 et 5). Les pièces 4 et 5 ne communiquent plus entre elles et on ne peut y accéder que depuis la courette. On relève de nombreuses reprises des maçonneries dans les premier et deuxième étages, mais on n’y trouve aucune trace de murs de refend. L’espace semble donc rester ouvert. Il ne reste en revanche aucune trace du mode de distribution de ces pièces dans les niveaux supérieurs au cours des états antérieurs à la construction de l’immeuble de la parcelle 197.
La réduction de l’espace public se poursuit au cours de l’état 8 avec la fermeture de l’espace qui sépare les murs 41100-41500 et 41300 (parcelle 192) : les murs de façade deviennent des murs intérieurs.
Elle s’affirme avec l’avancée de la façade de l’immeuble 02 (état 9) sur la rue du Four-de-l’Oratoire et la création de l’immeuble 01 (états 10 et 11). L’espace vide des parcelles 197 et 186 est utilisé pour la construction d’un bâtiment vraisemblablement élevé sur trois niveaux, occupant dans un premier temps la partie nord de la parcelle 186 (état 10), puis dans un second temps la totalité de la parcelle 197 (état 11). L’îlot se densifie, par l’implantation de ces nouveaux bâtiments et, de ce fait, la rue, et donc l’espace public, se resserrent.
Le besoin de récupérer de l’espace est également attesté par la création des niveaux de cave au cours de l’état 12. Les sols sont décaissés sur une profondeur d’environ 1,20-1,30 m dans le but de créer un réseau de petites pièces aveugles, de 6 m² de superficie, lesquelles sont séparées par un drain et probablement dotées d’un accès sommital. Leur fonction n’a pu être déterminée. Toutefois, l’absence d’accès latéral, la présence d’un drain et les matériaux utilisés (porosité nulle, aucun angle) nous permettent de proposer la fonction de stockage d’un produit peut-être susceptible d’être fragilisé par des angles saillants ou des rugosités. Ces espaces sont, au cours de l’état 15, rendus plus spacieux par la destruction des murs de refend, le comblement des drains et l’aménagement des voûtes et des escaliers. C’est probablement au même moment que les niveaux de sol du bâtiment sont modifiés. Entre-temps, avant la modification des espaces de cave et des niveaux de sol, les bâtiments sont vraisemblablement surélevés, ce que semble attester la réalisation d’une maçonnerie moins soignée, comportant de nombreux éléments de récupération (état 14), mais maintenant des niveaux de sol similaires comme l’attestent les aménagements pour poutraisons, lesquels ne peuvent fonctionner qu’avec les anciens niveaux. Cette récupération de l’espace vertical correspond à une des dernières phases de conquête de l’espace.
L’état 16 correspond à la réorganisation des espaces internes des deux immeubles (cloisonnement, réunion à certains étages des deux immeubles, cage d’escalier actuelle du n° 7 …), laquelle est plus difficile à caler chronologiquement. Enfin, dans l’état 17, ont été regroupés tous les aménagements récents (étagères, cuisines, etc).
Les différentes phases d’implantation des bâtiments de cette moitié d’îlot nous permettent de confirmer la présence d’un réseau bâti initialement moins dense, desservi par des axes de circulation plus bas, probablement plus larges aussi, bordant des espaces plus ouverts et un tissu urbain globalement plus aéré. La conquête de l’espace se manifeste progressivement par l’extension et l’installation de nouveaux bâtiments, l’avancée des façades, puis le décaissement des caves et la modification des niveaux de sol et la surélévation des bâtiments.
S’il est difficile d’attribuer des dates précises aux constructions de cette moitié d’îlot, les investigations ont néanmoins permis de restituer plusieurs phases d’aménagement ainsi que plusieurs « visages » différents de l’îlot au cours du temps. Il faut d’abord imaginer, au moment des constructions les plus anciennes du site, vraisemblablement autour du XIIIe siècle, un espace beaucoup plus aéré que ce qu’il n’est aujourd’hui. Les parcelles 193, 194 et 195 sont déjà occupées au moment où le bâtiment de la parcelle 196 est construit. On ne sait en revanche si la façade 41300 existait déjà, puisque rien ne nous permet de la rattacher stratigraphiquement au reste de l’îlot au cours des états les plus anciens. Autour du XIIIe siècle, il semble donc que nous ayons seulement deux bâtiments qui se font face, dont les façades sont séparées par une cour ou une rue, laquelle communique peut-être en partie avec la courette de la partie ouest de l’îlot. Le bâtiment de la parcelle 196 semble correspondre à un édifice de type loggia dont le rez-de-chaussée est ouvert sur l’extérieur et comporte quatre arcs ouverts sous lesquels il est possible de cheminer. On remarque par ailleurs que cet espace se trouve dans l’axe de l’église de l’Oratoire et du jardin des moines. Cependant, il est difficile de concevoir à l’heure actuelle que cet espace puisse correspondre à une partie de rue reliant l’église de l’Oratoire et la rue Marcel-Journet.
Cette étude permet de confirmer un même type de développement urbain que ce qui a pu être observé dans d’autres îlots : des rues initialement plus larges, un tissu urbain moins dense, une conquête de l’espace public importante, en plusieurs étapes, mais conduisant finalement à la disparition de nombreuses places ou courettes pour aboutir à une récupération d’espaces au sein même des parcelles. Tout cela induit une densification de la population et, peut-être aussi, une certaine multiplication des activités artisanales, si l’on en juge par les fonctions supposées pour les sous-sols, tels que les espaces potentiellement dévolus à la boucherie dans l’îlot de Sainte-Marthe ou bien, dans le cas qui nous occupe, à une activité de stockage peut-être liée à une production spécifique, qui reste toutefois à déterminer. On y voit aussi la mutation des espaces, puisque la transformation des niveaux de caves avec la création de voûtes et la suppression des pièces aveugles pour ne garder qu’une petite pièce et un espace plus vaste révèlent une modification de la fonction même de cette pièce.
Enfin, l’opération nous confirme une occupation protohistorique du site, bien qu’ici elle s’apparente davantage à des traces résiduelles plutôt qu’à une installation clairement identifiable. Les niveaux médiévaux reposent directement sur cette couche de datation très haute, ce qui par ailleurs avait déjà été observé à Sainte-Marthe. Les traces du Moyen Âge central restent ici très lacunaires et ne doivent leur conservation qu’à l’absence de décaissement de l’espace de la pièce 5. Dans la plupart des îlots, ces traces ont disparu au moment de la création des sous-sols. Ce niveau porte donc les traces d’une occupation au cours du Moyen Âge central sur laquelle a été installée la calade.
La conservation de la plupart des structures paraît être difficile à l’exception peut-être des arcs en berceau brisé, qui, en dépit de la destruction de leurs retombées, sont de belle facture. De la même manière, le réseau de caves est d’un grand intérêt pour l’histoire grassoise, même si nous ne sommes pas en mesure aujourd’hui de préciser quelle était la nature du produit stocké. Le mode de construction ainsi que l’aménagement de ces pièces est suffisamment inhabituel pour susciter un intérêt. Le fait que ces pièces soient aveugles et que les matériaux employés dans leur construction soient exclusivement des calcaires durs (à la porosité nulle) en contexte affleurant de travertin nous permet de supposer que cet ensemble correspond à un lieu de stockage. La présence du pressoir pourrait confirmer cette hypothèse, que l’on supposerait fonctionner avec le bassin localisé dans la pièce 9, et qui pourrait être lié à ce réseau de caves et, pourquoi pas, à l’industrie du parfum (stockage et presse de fleurs ?). Rien ne permet malheureusement aujourd’hui d’étayer ou d’infirmer cette hypothèse.
Cécilia Pedini