HADÈS Archéologie

Ancienne école Jeanne d’Arc

Nos métiers Production scientifique Opérations Ancienne école Jeanne d’Arc

Fiche

  • Responsable : Benoît GARROS
  • Localité : Basse-Terre (Guadeloupe)
  • Agence : OUTRE-MER

Résumé

La construction de cet Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD) est née de la volonté de Mgr Ernest Cabo d’assurer aux prêtres ayant fini leur service de mission des conditions de retraites convenables en adéquation avec leur vie sacerdotale. Le diocèse de Guadeloupe en partenariat avec la Fondation Caisse d’Épargne pour la Solidarité a confié la maîtrise d’ouvrage à la Société Immobilière de Guadeloupe (SIG). L’intérêt scientifique suscité par le capital historique du site a conduit le Service Régional de l’Archéologie (SRA) à prescrire une fouille. Cette opération préventive fait suite à un diagnostic réalisé en juin 2009 ayant mis en évidence un ensemble de vestiges immobiliers et mobiliers d’époque coloniale. Le site est en plein centre du cœur historique du quartier Saint-François, à l’emplacement de l’ancienne école Jeanne d’Arc. Le terrain se situe sur un morne dominant au sud la cathédrale et la rade de Basse Terre. Il se compose de deux terrasses présentant un pendage régulier vers le sud-ouest et qui déclivent également vers le sud est en direction de la rivière aux Herbes. Il est compris dans un environnement de type urbain où se sont implantées des habitations modestes. Les données issues du terrain ont pu être confrontées à une abondante documentation bibliographique et iconographique dans laquelle nous avons largement puisé. Ces travaux nous permettent d’esquisser quelques rappels historiques. Le destin des Capucins en Guadeloupe, après leur départ de Saint Christophe en 1646, est étroitement lié à l’administration de l’île, confiée successivement aux gouverneurs Houël puis du Lion. C’est ce dernier, en 1673 qui permet aux Capucins de s’implanter durablement sur la rive droite de la rivière aux Herbes. Il faut voir dans cette décision politique la volonté de pacifier les habitants, de contrebalancer le pouvoir grandissant des Dominicains et de favoriser le développement de Basse Terre. Les iconographies et les chroniqueurs, tel le père Labat par sa description de 1696, permettent de se faire une idée précise du premier couvent des Capucins avant l’incendie anglais de 1703 lors de la guerre de Succession d’Espagne. Ce n’est qu’à partir de 1713 que les capucins desservent officiellement la paroisse de Saint François. Si l’autorité n’entérine pas cette décision, la coutume se charge de le faire par la construction d’une église vers 1736, avec dans la décennie suivante une maison conventuelle. Le XVIIIe siècle, moins enclin aux affrontements, ouvre une période d’expansion qui se déplace du quartier du Carmel vers le bourg Saint François, désormais centre économique et social.

Le plan de 1749 et le tableau d’Ozanne figurant les possessions des religieux représentent une bâtisse remarquable dotée d’un plan harmonieux. Les Capucins s’inscrivent ainsi au centre même du bourg qu’ils ont contribué à créer et à développer par des travaux hydrauliques sur la rivière aux Herbes. La période révolutionnaire scelle la fin des ordres religieux. Les frères mineurs s’exilent de 1792 à 1802 et leurs biens sont saisis. Les XIXe et XXe siècles sont marqués par les reconstructions et les mutations. L’ouragan de 1825 détruit l’église et le couvent ainsi qu’une partie de la ville. Quelques années plus tard, un presbytère est érigé. Il cède sa place en 1852 au séminaire collège qui, face à des difficultés financières, ferme en 1905. Le père Magloire le réhabilite en 1956, en créant l’école Jeanne d’Arc. Le 17 juin 1975, un arrêté du ministère des affaires culturelles porte inscription au rang des monuments historiques la cathédrale Notre-Dame. La richesse patrimoniale érigée par une histoire dense et mouvementée a fait de la ville de Basse Terre un remarquable conservatoire de l’architecture de l’époque coloniale.

Les résultats scientifiques permettent de dresser un bilan positif. Le premier constat que l’on peut faire concerne le potentiel archéologique de ce secteur de la ville.

Les structures présentent une conservation satisfaisante laissant présumer un état équivalent en périphérie. L’opération a également complété les données du diagnostic en mettant au jour une densité d’aménagements qui dépasse de manière significative les prévisions envisagées, sur une superficie somme toute restreinte.

Cet ensemble met en avant une grande hétérogénéité, témoignant d’une occupation dense, en continu, de la fin du XVIIe siècle à nos jours. Les limites interprétatives nous sont imposées par l’absence de niveaux de sol ou d’occupation. de même, la mise en œuvre architecturale des bâtiments, emprunts de la tradition populaire de l’habitat antillais à l’aide de structures en bois, nous prive dans une certaine mesure d’une restitution du fonctionnement interne des unités d’occupation et de leur affectation. Nous souhaitons également rappeler que malgré la proportion significative de mobilier recueilli, seule une minorité d’artéfacts permet de renseigner la chronologie de l’occupation. La grande majorité du corpus céramique, métallique et verre provient de contextes dépositionnels secondaires à l’issue de l’abandon et du colmatage progressif des structures. Cependant, la concentration des structures permet de restituer une chronologie relative fiable et pallie en partie ces lacunes.

La première phase intervient à la fin de ce que l’on nomme « l’ère des pionniers » dans le dernier quart du XVIIe siècle. Elle se caractérise par l’implantation des Capucins sur le morne avec une première structuration de la terrasse basse. Elle se définit par un vaste espace clos de murs. Cet ensemble est complété par la mise en œuvre de murs de séparation dont l’interprétation soulève encore des interrogations concernant leur fonction faute d’indices explicites. Toutefois, à la lecture du dessin de Payen, il ressort une certaine analogie avec une partie des vestiges. Cette architecture que l’on peut qualifier de première génération se matérialise par l’emploi de matériaux rudimentaires, mais une mise en œuvre soignée.

La seconde phase, plus dense, pour laquelle nous distinguons deux états, correspond à la mise en place de la maison conventuelle qui perdure de la première moitié du XVIIIe siècle jusqu’à la première moitié du XIXe siècle. La fouille a mis en évidence le plan d’une imposante bâtisse rectangulaire de près de 20 m de long, en maçonnerie de qualité disposant au sud d’une entrée aménagée de type perron ou pas de porte et d’une galerie en façade nord. Cet ensemble est complété par un bassin d’agrément monumental en octogone au centre de la cour. Une séquence d’abandon a été identifiée pour ce dernier, que l’on peut placer à la fin du XVIIIe–début du XIXe siècle. L’ordonnancement manifeste qui se dégage de la répartition des structures souligne la conservation des vestiges de la première phase. Ainsi, nous avons la restitution d’une demeure au plan harmonieux qui domine le bourg Saint François. La densité des canalisations sur le site met en lumière une partie des étapes qui a conduit à la formation du réseau hydraulique du bourg. Ces actions s’illustrent dans une troisième phase attribuable à la seconde moitié fin du XVIIIe siècle. Elles ont été mises en évidence par l’étude d’un aqueduc de facture massive, reconnu sur la totalité de l’emprise. En dépit de lacunes chronologiques, faute d’artéfacts temporels, l’examen du parcellaire cadastral associé à un levé altimétrique ainsi qu’une analyse spectrométrique des éléments mineurs et majeurs d’échantillons nous ont permis d’identifier une très nette filiation avec le pont aqueduc de petite Guinée. Ouvrage dont la construction a été entreprise en 1785, à l’initiative du gouverneur de Cluny. Nous avons également pu reconnaître une section d’adduction figurant sur le plan de 1787. Cette fin de siècle marque donc véritablement un essor de la politique hydraulique pour subvenir au besoin croissant du bourg.

La phase 4, un des temps forts de l’occupation, se traduit par la synchronie de trois unités d’occupation affectant deux états différents. Le premier bâtiment est construit en lieu et place de l’ancienne maison conventuelle dont il reprend l’orientation et l’architecture avec une galerie en façade nord. Le second édifice perpendiculaire au premier marque très nettement le site par son emplacement en bordure de rive.

Enfin, le dernier bâtiment à la conception soignée suggère par son aménagement interne un statut spécifique. Ce plan d’ensemble est complété par un réseau de canalisations destiné à l’alimentation en eau des bâtiments par le biais de bassins.

L’un d’entre eux se distingue par une morphologie inédite nous permettant d’envisager un aménagement curatif. L’étude des artéfacts, parmi lesquels le mobilier pharmaceutique (pots à pommade et flacons en verre de médication) tient une place non négligeable, nous permet de restituer dans cette occupation le presbytère de la première moitié du XIXe siècle, construit après l’ouragan de 1825, dont la fonction d’hospice semble avérée. On peut ainsi envisager pour les bâtiments 3, 4 et 5, les affectations suivantes, dortoir, réfectoire et cuisine.

La mise en œuvre de la phase 5 dans le milieu du XIXe siècle ne modifie que très peu la physionomie du site. Trois séquences bien distinctes ont pu être mises en évidence. La construction du séminaire collège prend la forme d’un vaste corps de bâtiment en U qui s’appuie largement sur les bâtiments de la phase précédente. En effet, le bâtiment 4 est intégré au nouvel édifice et la cuisine est conservée. Des adjonctions supplémentaires sont réalisées avec la création d’une zone domestique (blanchisserie) au sein de laquelle un lavoir à deux bassins asynchrones a été reconnu.

Ce changement d’affectation du site opère également des modifications du réseau hydraulique, notamment pour la cuisine qui reçoit un bassin présentant des réfections.

La dernière phase se signale par la mise en place d’entités ayant trait à la désaffection du séminaire collège et à la construction de l’école primaire Bébian. Le changement d’affectation d’une partie des locaux intervient en 1956. C’est donc tout naturellement que la fouille a mis au jour des témoignages de cette époque. Nous disposons d’informations fragmentaires pour cette période. Il s’agit d’éléments dont la portée scientifique est réduite. Ce sont principalement des aménagements en relation avec des fosses septiques et sur la terrasse haute avec la création d’une cour de récréation.

Les résultats des études de mobilier mettent en avant des assemblages homogènes suggérant de façon univoque une occupation dense du site entre la seconde moitié fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle. Les premières traces d’implantation des Capucins à la fin du XVIIe siècle et dans la première moitié du XVIIIe siècle avec la reconstruction du couvent après 1730, se font très discrètes au sein du corpus mobilier. Seule cette charnière chronologique qui occupe la fin de cette occupation jusqu’à la construction du presbytère fait jour. Du point de vue immobilier, cela se traduit par les aménagements bâtis mis en œuvre. En revanche, sur le plan sédimentaire, on ne distingue pas véritablement de niveaux d’occupation. Le mobilier que nous avons prélevé (hors structures) provient d’un horizon uniforme. L’organisation du site par les capucins, quelle que soit l’époque, présente toujours un plan cohérent, réfléchi, signe d’une volonté de pérenniser leur implantation. À l’issue de cette étude, avec l’appui des différentes sources nous sommes en mesure de restituer un site religieux qui dès la fin du XVIIe siècle jusqu’à nos jours a fait l’objet d’une occupation permanente.

Les changements qui s’opèrent au contact des religieux mettent en évidence une évolution architecturale de seconde génération. La transition se fait d’un mode constructif modeste, mais soigné adapté au milieu, à une conception pérenne emprunt d’un symbolisme européen ; traduction d’une avancée du processus de colonisation. À défaut de pouvoir répondre à toutes les interrogations suscitées par cette fouille, cette étude aura permis de faire un peu plus la lumière sur la part prise par les Capucins dans la colonisation de l’île. La présence des ordres religieux est une donnée essentielle dans le processus colonial. À ce titre, les Capucins ont joué pleinement leur rôle. de la fin du XVIIe siècle, date de leur implantation à Basse Terre, jusqu’à la dispersion de l’ordre en 1792, ils ont œuvré à la création et à la structuration du quartier Saint François.

Benoît GARROS