Fiche
Résumé
La commune de Penne d’Agenais se situe sur la rive gauche du Lot, à dix kilomètres en amont de Villeneuve sur Lot, sur le rebord septentrional des Serres de l’Agenais, lanières calcaires profondément entaillées au Tertiaire par les affluents de la Garonne. Le centre du village se développe à flanc de colline, en léger contrebas d’un éperon calcaire qui domine le fleuve et offre une large vue sur la basse vallée. Le projet d’agrandissement de l’hôpital local de Penne d’Agenais est à l’origine de la destruction d’un îlot de bâtiments situé à l’entrée du village, sur une zone restreinte du faubourg médiéval. Au cours des travaux, la découverte de restes d’élévations médiévales et plus spécialement du mur d’une des chapelles latérales de l’église disparue des Cordeliers avait alerté le SRA Aquitaine et motivé la prescription d’une intervention archéologique. Confiée au bureau Hadès, celle-ci consistait au premier chef à ouvrir une fenêtre de 150 m2 dans l’angle nord-ouest de la parcelle, à cheval entre l’église et le cloître, au contact présumé du mur gouttereau sud et de la galerie nord, afin d’identifier les maçonneries médiévales et de fouiller l’intégralité des sépultures repérées. La construction d’une vaste cave sub-contemporaine dans l’angle nord est ayant totalement détruit le sous-sol à cet endroit, ce volet sédimentaire devait s’accompagner d’une surveillance des travaux de terrassements et d’un relevé en plan de toutes les structures bâties mises au jour sur la moitié sud de la parcelle, une zone avoisinant les 500 m2 correspondant à l’assiette du cloître. À terme, ces données stratigraphiques devaient être complétées par une étude des sources écrites et une analyse archéologique des vestiges architecturaux encore en élévation, pour proposer d’une part, une hypothèse de restitution du plan du couvent, et d’autre part, une caractérisation de la « clientèle » des Cordeliers, à travers l’observation d’un échantillon de population inhumée dans le cloître.
La fouille a permis de discerner quatre phases chronologiques. La première phase (Phase 1)est antérieure à l’installation des Cordeliers, que les sources écrites situent dans le deuxième tiers du XIIIe siècle, suite au traité de Meaux Paris en 1229 et à la reprise en main par l’église des territoires appartenant aux comtes de Toulouse. Si aucune structure ne lui est rattachée, elle montre toutefois une puissante séquence faite d’une succession de remblais déversés dans la pente. La présence conjointe dans plusieurs couches de résidus de combustion en quantité et de quelques fragments de céramique correspondant à des ratés de cuisson autorise à formuler l’hypothèse d’un artisanat potier dont l’implantation proche mais hors des limites de l’emprise s’accorderait parfaitement avec une telle situation face aux vents dominants et une distance plus que raisonnable vis à vis des remparts primitifs.
La mise en évidence d’un individu inhumé dans un caveau bâti entre le milieu du XIe et le milieu du XIIe siècle (d’après une expertise radiocarbone) soulève (non sans quelques doutes) l’hypothèse d’un édifice de culte qui serait antérieur de plus d’un siècle aux dates de fondation traditionnellement retenues dans les textes (1248 ou 1261). Cet édifice, dont le plan nous échappe en grande partie mais que matérialisent les MUR 1, 5 et 6, aurait été conservé le cas échéant dans le programme architectural des Cordeliers démarré vers la fin du XIIIe siècle.
La deuxième phase voit la construction de l’église et du cloître, avec l’édification préalable, à une vingtaine de mètres au sud de la fouille, d’un haut mur de soutènement destiné à retenir la totalité des remblais de nivellement. Elle se traduit par la présence du mur gouttereau sud de l’église, contre lequel vient s’appuyer une construction rectangulaire interprétée comme une chapelle latérale. de ces épaisses maçonneries ne subsistent que de puissantes fondations qui perforent les niveaux susdits jusqu’à une profondeur que la fouille n’a pu préciser. Le mur bahut de la galerie nord a également été mis au jour sur toute la longueur de l’emprise, où il ménage un espace de presque 3 m de large attenant aux chapelles. Au sein de cette galerie ont été mises au jour onze inhumations : la plupart sont des dépôts en cercueils de bois, plus rarement en pleine terre.
La phase suivante (Phase 3), datée des XVe et XVIe siècles, se traduit par des apports de terre destinés à recharger la zone sépulcrale. Ces remblais constituent l’encaissant d’une nouvelle série de tombes en cercueils et de deux caveaux bâtis en briques et réutilisés à plusieurs reprises, parfois même en guise d’ossuaire. Un dernier stade (Phase 4) intervient probablement après les destructions huguenotes de 1562. Il voit la récupération des anciennes maçonneries et la reconstruction du mur bahut nord du cloître. Il correspond aussi à l’ultime témoignage de l’activité funéraire dans les limites de la fouille, où quatre nouvelles tombes sont creusées.
Après la Révolution, la destruction de l’ensemble conventuel et la récupération des matériaux vendus comme biens nationaux coïncide avec la désaffectation du cimetière et la construction d’habitations villageoises, visibles sur le cadastre napoléonien.
L’étude de bâti réalisée sur la maison Ducros (correspondant à une chapelle nord de l’église des Cordeliers) a pour sa part permis de distinguer cinq phases chronologiques qui ont pu être corrélées à celles mises en évidence grâce à stratigraphie. La première (qui correspond à la phase 2 de la fouille) se traduit par la construction de l’église vers la fin du XIIIe siècle, dont subsiste une partie du mur gouttereau nord de la nef, dotée de piliers engagés de style typiquement gothique (XIIIe XIVe siècles). La confrontation avec les découvertes de la fouille permet de restituer la largeur de la nef, un espace dans l’œuvre de 10,80 m de large qui corrobore parfaitement les sources écrites modernes.
Les deuxième et troisième phases (Phase 2bis et Phase 3 –correspondant à la Phase 3 de la fouille ) voient la mise en place d’une chapelle latérale nord, dont le mur de chevet oriental conservait une fenêtre en arc brisé à remplage rayonnant datable par comparaisons de la fin du XIIIe – début XIVe siècles. Cette chapelle, voûtée ainsi qu’en témoignent un arc formeret et deux chapiteaux sur culots mutilés, devait servir à célébrer des cérémonies religieuses.
Les deux dernières phases (Phase 4 –correspondant à la Phase 4 de la fouille et Phase 5) témoignent respectivement des réaménagements liturgiques de l’époque moderne (réfections des ouvertures de la nef, installation d’un panneau mouluré datable du XVIIe siècle destiné à décorer un autel ou un retable dans la chapelle nord) et des dénaturations contemporaines (bouchages de briques dans les élévations médiévales, mise en place d’un conduit de cheminée).
Au bilan, malgré un état de conservation des vestiges très défavorable, cette opération aura été l’occasion de faire le point sur l’ensemble conventuel, avant de nouvelles destructions. Par la mise en évidence de structures bâties enfouies et l’analyse des maçonneries encore en élévation, elle aura aussi permis de proposer une hypothèse pour la restitution d’un plan de masse général, à des fins de comparaison avec d’autres ensembles régionaux. D’autre part, même si l’échantillon est quelque peu restreint pour prétendre à une représentativité optimale, l’étude anthropologique jette un éclairage inédit sur la population ancienne qui gravitait dans le sillage des franciscains. Yann Henry
Yann HENRY, David PERESSINOTTO, Jean-Luc PIAT