HADÈS Archéologie

Le château

Fiche

Résumé

2001 – Tour de La Chapelle

La commune de Crozant, département de la Creuse, conserve les vestiges imposants d’un château médiéval qui occupe un éperon rocheux correspondant au confluent de la Creuse et de la Sédelle. Les vestiges du château s’organisent à l’intérieur d’une série d’enceintes dont les périmètres sont plus ou moins visibles. Ce site, classé au titre des Monuments Historiques, appartient depuis le 3 octobre 1998, à la commune Crozant. Dans le cadre du programme de restauration et de mise en valeur de la tour de la Chapelle, le Service Régional de l’Archéologie du Limousin a prescrit un suivi archéologique des travaux, assorti d’une série de sondages archéologiques ponctuels.

L’occupation du site est attestée dès le néolithique moyen (culture chasséenne) et le néo final chalcolithique. Les sondages, réalisés entre 1964 et 1974 sur le versant ouest, mettent en évidence des indices d’occupation antique (tuiles à rebord) avec une fréquentation probable jusqu’à la fin de l’Antiquité (monnaies du Bas Empire, céramiques paléochrétiennes, sigillées d’Argonne). Pour la période médiévale, les tessons de céramiques (fragments de bords en bandeaux, becs pontés et tubulaires) se réfèrent à des ustensiles fabriqués entre le Xe et le XIIe siècle, mais dont l’utilisation peut perdurer jusqu’au XIIIe voire XIVe siècle.

L’examen des sources s’avère décevant comparé à l’envergure du site. Une mention du château apparaît, au début du XIIe siècle, dans une donation de Hugues Barriou, faite « apud castrum quod dicitur Crosenc, ante portem Sti Stephani » (au château appelé Crosant, devant la porte Saint Stéphane). En 1214, l’appartenance du château aux Lusignan est effective. Puis, on trouve dans les chroniques de Saint Martial (1220) une note en marge du texte, rédigée vers 1275, qui atteste l’existence, dans la seconde moitié du XVe siècle, d’une tradition faisant d’Isabelle d’Angoulême la bâtisseuse du Donjon de Crozant. Au XIIIe siècle, la forteresse constitue une place forte importante puisque Louis IX la prend en gage pour huit ans. En 1308-1314, Philippe Le Bel récupère l’héritage des Lusignan. Crozant devient alors l’apanage du prince Charles entre 1313 et 1322 avant d’entrer dans le domaine royal.

Dans le cadre d’une étude préalable à la restauration de la Tour de la Chapelle, le SRA de la DRAC Limousin a préconisé la réalisation de plusieurs sondages d’évaluation. Leur emprise et leur emplacement ont été déterminés en fonction des déblaiements nécessités par des reprises sur les maçonneries et en prévision de décaissements envisagés sur la plateforme sommitale, entre la Tour du Renard et la Tour de la Chapelle. Les sondages ont donc été implantés en fonction de ces impératifs. Les données recueillies permettent de dresser un bilan tout en constituant une base de données utile pour quantifier et mettre en place des fouilles de plus grande ampleur..

Les indices archéologiques recueillis au cours de ce diagnostic apportent des précisions sur la profondeur des vestiges, leur localisation, la profondeur et la nature du sol stérile ainsi que les surfaces détruites. Sur la plateforme sommitale, les structures et indices repérables se situent immédiatement sous le couvert de terre végétale. Sur les versants, ces structures apparaissent à des profondeurs variables sous des couches d’éboulis de démolition. Leur profondeur d’enfouissement varie en fonction de l’épaisseur de cette couche qui présente des variations importantes entre 3 et 1 m à mesure que l’inclinaison du versant s’accentue. Certaines arases de murs (tour et courtines) sont ponctuellement visibles. Les vestiges de constructions médiévales sont bien conservés et les sols médiévaux sont souvent protégés par d’épaisses couches de remblais et d’éboulis. La surface totale sondée représente 14,17 m2. Elle est portée à 80 m2 si l’on tient compte du déblaiement de la salle haute (36 m²) et du dégagement total du parement extérieur est de la tour (30 m² environ). Les niveaux stériles ont été ponctuellement atteints : le substrat est une roche granitique, micacée.

Tous les éléments lapidaires trouvés pendant l’intervention ont été rassemblés in situ et inventoriés.

L’ensemble de cette évaluation archéologique apporte des indices témoignant d’une phase d’occupation antérieure à la construction de la tour de la Chapelle. Il s’agit d’une couche de terre noire, associée à des tessons de céramique commune modelée, de couleur noire, qui seraient antérieurs au XIIIe siècle. Les différences observées dans l’appareillage des murs confirment l’appartenance à au moins deux états de la construction. Le premier état concerne la tour semi circulaire, la salle basse et la partie orientale de la salle haute. Ces constructions sont en relation avec une deuxième salle basse, encore enfouie, à l’ouest de la chapelle. Cette salle inédite, révélée par un arc clavé effondré, était desservie par un escalier, orienté nord sud, dont le départ d’arc subsiste dans l’angle sud ouest de l’édifice. Les trois sondages ouverts dans la salle basse indiquent que la tour est construite directement sur le rocher ; ce dernier a juste été aplani ponctuellement pour asseoir ses fondations sur des niveaux relativement horizontaux. La disparition des niveaux de sols médiévaux peut être consécutive aux modifications apportées au bâti d’origine. En outre, le lien entre la tour de la chapelle et la courtine nord/sud est confirmé. Le premier sol d’occupation est le sol de travail lié à cette phase de construction. Dans la salle haute, cet état est associé à des tessons de céramique commune, orangé clair, montée au tour lent. Leur surface extérieure parfaitement lissée est parfois ornée de coulures d’engobe ocre rouge. Les profils reconstitués décrivent des formes fermées (type pichet) sans doute attribuables au XIIIe siècle. Les nombreux petits fragments d’enduit retrouvés témoignent du décor originel de cette salle : un enduit de chaux blanc portant un décor de filet rose pâle. des traces de ce badigeon coloré sont conservées dans les moulures de la colonne sud. Cet édifice, ainsi que le suivant, était recouvert d’un toit en tuiles plates à ergot.

Le second état concerne la réorganisation de la partie ouest de la tour avec, en partie basse, la construction d’une nouvelle voûte en plein cintre renforcée par un arc doubleau. À l’étage, l’espace ouest de la salle haute est doté d’un nouveau sol, situé 0,80 m au dessus du sol précédent. Ces modifications affectent l’organisation originelle de la salle basse avec, en particulier, l’abandon de la salle enfouie à l’ouest de la chapelle. Cependant, nous ignorons la configuration originelle du plan de la salle basse avant ces reconstructions. La présence de remplois de pierres taillées dans l’élévation de la salle haute ajoute un indice supplémentaire conduisant à la reconnaissance de deux phases de construction.

Le niveau de sol, associé à ce second état, est uniquement conservé sur les parements des murs de la salle haute. Aucun élément de mobilier ne permet de le dater.

Catherine BOCCACINO

2001 – Tour du Renard

Dans le cadre du programme de cristallisation des ruines du château de Crozant (Creuse), un sondage archéologique a été effectué en juin 2001 dans la tour dite « du Renard », à la base de l’escalier en vis desservant les étages. L’essentiel du comblement de la tour consiste en épais remblai de 1,50 m, reposant sur une couche de destruction (tuiles) de 10 cm. Le sol rencontré est constitué d’altérite très compacte. Aucun mobilier datant n’a été rencontré.

Julien DENIS

2002 – Tour du Renard

Le site castral de Crozant bénéficie, depuis 1998, d’un vaste programme de sauvegarde : les vestiges conservés, très instables, menacent en effet de s’effondrer à tout moment et mettent en danger les visiteurs. Au printemps 2001 ont été entamés des travaux de cristallisation sur la « tour du Renard ». Le SRA a prescrit en conséquence une série de sondages archéologiques à l’intérieur et à l’extérieur de la tour, sondages réalisés en plusieurs phases, entre le printemps 2001 et le printemps 2002. Par ailleurs, la (re)découverte par les ouvriers, lors de l’enlèvement des déblais recouvrant les niveaux supérieurs de la tour, de plusieurs vestiges (latrines, cheminée, passages) susceptibles d’être modifiés par les travaux (ou rendus moins lisibles archéologiquement, par la réalisation de joints, notamment) a conduit à un aménagement des prescriptions archéologiques en intégrant de manière plus présente l’analyse des élévations.

La tour du Renard : une tour d’inspiration philipienne

D’un diamètre de 9,40 m, la tour du Renard possédait au moins trois niveaux et deux accès (un au rez-de-chaussée et un à l’étage, probablement accessible par la courtine est). Le premier niveau, voûté et haut de 6 m, ne dispose d’aucun aménagement particulier. La salle haute, par contre, multiplie les aménagements permettant de la rendre habitable. Un troisième niveau (disparu) était desservi par un escalier en vis dans œuvre. Pourvu d’archères, il s’agissait soit d’un niveau à part entière, mais voué à la défense, soit du sommet de la tour doté d’un parapet crénelé.

La tour du Renard s’avère être une tour mixte : elle allie éléments résidentiels et éléments défensifs. Cependant, tout en étant pourvue d’archères, elle ne paraît pas avoir de rôle majeur dans la défense du site. de même, tout en étant habitable, elle ne peut prétendre à être résidentielle. On s’interroge donc sur son rôle : s’agit-il d’une seconde tour maîtresse et quel rapport établir avec la « Grosse tour » située à l’autre extrémité de l’éperon ? Le sondage réalisé à l’extérieur de la tour a permis de reconnaître le tracé de la courtine ouest et les niveaux de circulations associés à cette tour (à un peu plus de 1 m sous le niveau actuel), et par ailleurs d’identifier des latrines.

De toute évidence, l’hypothèse d’une architecture inspirée des modèles philippiens, émise par Ch. Rémy en 1999, se trouve ici largement confirmée. Tous les éléments de la tour, tant dans la forme que dans la fonction (tour mixte) trouvent en effet comme modèles les édifices du pouvoir capétien. Avec un tel respect des modèles philippiens, l’hypothèse d’une construction royale (pendant la confiscation du château de 1242 à 1250) paraît renforcée : on imagine mal les Lusignan, même désireux de défier le roi de France, copier à ce point ses constructions. Un autre élément dans ce même sens peut être tiré de la découverte d’une archère à étrier dont l’apparition dans les édifices capétiens (années 1240) coïncide ici avec l’occupation du site par l’administration royale.

La plateforme haute : un projet homogène ?

La plateforme nord accueille une autre tour (la « Grosse tour ») qui, plus large, mérite plus un statut de tour maîtresse. Mais là aussi la mise en œuvre de principes d’inspiration philippienne reste perceptible. Quoique plus grande et plus haute, les similitudes avec la tour du Renard sont grandes.

Notons également que la tour de la Chapelle, autre édifice conservé de cette plateforme, présente certaines dispositions proches de la tour du Renard, dont les baies de la salle basse. Si la courtine orientale est chaînée avec la chapelle, aucune trace d’arrachement n’est visible sur la tour du Renard. Le dégagement des courtines permettrait donc ici d’établir une chronologie relative entre les deux édifices.

À la lecture de ces éléments, on est ainsi fortement tenté de voir dans l’aménagement de la plateforme nord la réalisation d’un projet architectural homogène, fortement marqué par des caractères architecturaux communs.

Julien DENIS

2004 – La Porterie

Dans le cadre d’une étude préalable spécifique au secteur de la porterie et de l’accès ancien au château de Crozant menée par l’Architecte en Chef des Monuments Historiques, le Service Régional de l’Archéologie du Limousin a prescrit une étude archéologique préalable des élévations accompagnée de sondages afin de mieux comprendre les édifices et de définir le potentiel archéologique de ces zones L’intervention, qui a mêlé sondages, étude architecturale et recherches iconographiques, a permis d’identifier les limites (jusqu’alors inconnues), les différentes parties constitutives de la porterie et leur état de conservation. Ce dernier s’avère somme toute assez paradoxal. Les élévations, encore nombreuses certes, sont pour la plupart dans un état de délabrement assez avancé (absence du parement extérieur, fruit important…), et menacent même de s’effondrer à très court terme. A contrario, les résultats des sondages ont fait apparaître des ensembles conséquents de maçonneries ou d’espaces de circulation qui sont encore conservés sur de grandes hauteurs et parfois même sur plusieurs niveaux, dans un état assez satisfaisant.

Une première réflexion sur la chronologie de cet édifice assez complexe a mis en évidence la présence d’au moins quatre phases d’aménagements successifs : État I (datation proposée : avant 1200 ?) Cet état n’est caractérisé que par une maçonnerie plus ancienne à l’extrémité nord d’un mur bordant le passage. En l’état des fouilles, elle ne peut être datée. Rappelons cependant qu’une porte du château est mentionnée dès le début du XIIe siècle.

État II (datation proposée : 1200-1230)

La porte de la forteresse est défendue par un édifice quadrangulaire au milieu duquel se fait le passage. Bien que les élévations conservées ne dépassent pas plus de 2 m, il est tentant de voir ici soit une tour porte quadrangulaire, soit un passage encadré par deux petites tours carrées (4,80 m de côté). L’accès est désormais bien défendu, de manière passive (porte excentrée à l’ouest, beaucoup plus haute que le fossé, présence d’une herse avant les vantaux de la porte) et de manière active (les archères sont judicieusement disposées : du cotées une archère flanquait la courtine, l’autre défendait la porte en façade et la troisième menaçait l’espace situé entre la herse et le portail).

État III (datation proposée : 1230-1240)

La portées transformée en un véritable châtelet : un vaste édifice quadrangulaire chemise entièrement l’accès (et sans doutées il complété à ce moment là par la construction d’une tour à l’angle nord ouest). Ce chemisage, qui comporte plusieurs niveaux, se caractérise par la mise en place de murs épais (plus de 2 m en moyenne) percés de nombreuses archères à niche, et là encore à étrier. Ces archères semblent ici nettement d’inspiration plantagenêt. On proposera, provisoirement, une réalisation dans les années 1230 par les Lusignan, juste avant leur opposition ouverte au roi de France et à leur défaite (1242).

État IV (datation proposée : 1242-1440 ca)

L’état IV correspond à la mise en place d’un pont sur piles franchissant le fossé. Trois piles maçonnées sont réalisées (seules les bases de deux ont été retrouvées), ainsi qu’un avant corps de bâtiment dont il ne reste que le soubassement. Cet avant corps, d’après la documentation iconographique ancienne, disposait d’archères latérales et, au vu de la complexité architecturale de ses élévations, accueillait probablement un pont levis. Là encore il reste difficile de dater cette structure qui a cependant peu de chances d’être antérieure à 1240 : l’appareil de la maçonnerie (assises réglées en pierre de taille)est à première vue assez proche du chemisage supérieur de la Tour Collin ou de l’état II du contrefort (vers 1242) et le module semble être le même, mais une étude détaillée des hauteurs d’assises utilisées montre malgré tout un léger décalage. Cet appareil est également peu éloigné de celui de la tour maîtresse quadrangulaire de la plateforme sud (début XVe siècle ?) dont l’étude n’a pas encore été réalisée.

Julien DENIS

2006 – La tour porte, la 3e enceinte et la « Grosse Tour »

Les données présentées dans ce rapport sont le résultat de plusieurs opérations archéologiques menées de 2004 à 2006 sur le secteur sud de la plateforme septentrionnale du site. Elles ont concerné la tour porte de la troisième enceinte qui donne accès à cette plateforme castrale et la «Grosse tour» qui domine cette entrée à l’est.

La tour porte de la troisième enceinte

Parmi les différents édifices ruinés du château de Crozant, un vestige de maçonnerie verticale, communément appelé « le contrefort », était souvent interprété comme une petite tour ou une guette flanquant l’enceinte ouest du site castral. L’étude archéologique du bâti mené en 2004 lors de la cristallisation des maçonneries ayant montré que l’on avait peut-être affaire là à une porte, un sondage archéologique a été réalisé à l’est des vestiges.

Ce sondage a non seulement permis de confirmer l’hypothèse, mais a également mis au jour un édifice de défense relativement élaboré : une tour porte établie à la jonction de deux courtines. Cette tour porte était un édifice quadrangulaire de 8,70 m sur 5,60 m, comportant plusieurs niveaux. La partie ouest-correspondait au passage proprement dit : d’une largeur de 2,50 m, il était défendu par une archère percée dans le mur intérieur est, probablement par un assommoir à l’étage, par une herse et enfin par les vantaux de la porte. La partie orientale était une chambre de tir réduite, mais pourvue de trois archères à embrasement triangulaire : celle de l’est flanquait la courtine est ; celle du sud défendait au devant de la porte, et la troisième, à l’ouest, donnait sur le passage. Cette chambre de tir était accessible par un couloir partiellement établi dans l’épaisseur du mur de courtine est.

Dans son premier état, cette tour était également chaînée avec les courtines dont elle assurait la défense et participait donc à un programme architectural de plus grande ampleur. Ce programme semble d’ailleurs avoir concerné l’ensemble du site castral, car, à quelques détails près, cette tour porte quadrangulaire est la copie de la tour porte du deuxième état de la porterie permettant l’accès à l’ensemble du site. Il reste néanmoins difficile de dater cet édifice, bien que par comparaison avec la porterie sud on privilégie pour l’instant une période s’étendant entre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe.

Par la suite, probablement dans le courant du XIIIe siècle lors la réalisation de la campagne de travaux ayant entraîné, notamment, la construction de la tour du Renard, cette tour porte fut augmentée d’un puissant contrefort (le seul vestige visible avant travaux, donc) de 3 m de large sur 2,80 m de profondeur, conservé sur une hauteur de près de 11 m. Au sommet se trouvait une petite salle pourvue au moins d’une archère à étrier et d’un assommoir sur arc (un mâchicoulis unique ?). Elle communiquait avec l’étage de la tour porte par une porte dont certains éléments ont été retrouvés effondrés.

La « Grosse Tour »

L’étude qui s’est déroulée en septembre et octobre 2005 a duré quatre semaines. Elle constitue la première approche archéologique du secteur de la « Grosse Tour ». Les recommandations étaient de dégager, observer et comprendre les maçonneries de la tour et celles se trouvant dans l’environnement immédiat. Deux sondages avaient pour but d’identifier et de localiser les entités archéologiques pour pouvoir les préserver ou les fouiller. L’état de délabrement de la « Grosse Tour » édifice apparemment majeur du castrum est malheureusement très prononcé. des découvertes importantes ont néanmoins été faites dans l’environnement immédiat et neuf phases ont été déterminées, même si les chronologies de construction n’ont pas réellement pu être affinées. La construction la plus ancienne semblerait être une portion de courtine qui délimite l’angle sud est de la plateforme. Elle serait synchrone de la porterie située en contrebas et serait ainsi estimée entre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe. Cette enceinte serait attribuable à l’occupation Plantagenêt. La construction de la tour succède à l’édification de celle-ci. Les élévations qui, selon l’iconographie du XIXe siècle atteignaient encore trois étages ne sont pas conservées au-delà du premier niveau. La base de la tour se révèle être un cul de basse fosse probablement destiné à des fonctions pénitentiaires. Cet espace est, à l’origine, uniquement accessible à partir d’un oculus au centre de la voûte. Il est actuellement en partie comblé par des gravats mais, des aménagements maçonnés sont perceptibles dans la zone sud. Ainsi, il n’est pas exclu que cette architecture soit plurifonctionnelle. Le premier étage conserve très peu d’indice sur l’organisation et la fonction de la pièce. Une porte ouvrait l’édifice vers l’est. Cette communication entretenait une relation avec la courtine préexistante. Un escalier aménagé dans l’épaisseur de la maçonnerie de la tour desservait un second étage. des éléments lapidaires retrouvés dans les gravats d’effondrement et l’iconographie du XIXe siècle permettent de supposer que les niveaux supérieurs de la tour étaient voûtés sur ogives. Les éléments décoratifs et la stratigraphie n’offrent pas de repère chronologique suffisamment déterminant pour évoquer une date de construction. Le débat de l’attribution à Isabelle d’Angoulême ou à l’administration capétienne ouvert par Christian Rémy reste sans conclusion. Aucun niveau d’occupation médiévale n’a été mis au jour dans l’emprise des sondages. Une reconstruction de la courtine et une réfection des parements de la tour pourraient avoir été réalisées à l’issue d’un tremblement de terre en 1606. Cet événement, s’il n’a pas ruiné immédiatement la tour, l’a largement fragilisée. Les effondrements qui en découlent entraînant l’abandon définitif de ce secteur du site castral interviennent quelques années plus tard. Entre temps, une sépulture a été improvisée dans les gravats au sud de la tour. Il s’agirait d’un adulte décédé, comme le suppose le contexte, durant les guerres de Religion.

Patrick BOUVART

2008 – La Porterie

La tranche des travaux de 2007 a concerné la zone méridionale de l’éperon, où se trouve la porterie du château. Prescrite par le Service Régional de l’Archéologie du Limousin, en concertation avec la Conservation Régionale des Monuments Historiques et la commune, cette opération d’archéologie préventive a été confiée à la société Hadès. Organisée en suivi de travaux, elle s’est déroulée en deux étapes, avant et après montage des échafaudages, et comprenait des sondages et une étude du bâti subsistant.

La partie orientale de cette zone avait déjà été en partie fouillée en 2004 (fig. 1* et 2). Cette nouvelle étude conforte à quelques détails près les conclusions de la campagne précédente, en permettant une analyse plus poussée des élévations, jusqu’alors recouvertes de végétation. La première phase de construction mise en exergue est une porte primitive à deux tours légèrement rectangulaires, largement inspirée des fortifications anglaises de la fin du XIIe ou du début du XIIIe siècle (fig. 3). Le plan original de la construction qui lui succède dans le premier tiers du XIIIe siècle – un vaste bâtiment ouvert d’archères à niches et non flanqué – est à attribuer aux Lusignan (fig. 4). La construction du pont qui reliait le château au bourg semble avoir été décidée au cours de l’érection des ouvertures de tir ; il existait donc peut être dès le milieu du XIIIe siècle (fig. 5). Enfin, l’ouverture de la poterne semble être intervenue dans un dernier temps, probablement à la fin du XIIIe siècle, voire plus tard (fig. 6). L’abandon de cette partie du site n’est pas bien définie, mais les remblais contenaient des tessons de céramique des XVe – XVIe siècles, rarement plus tardifs, qui pourraient suggérer une désaffection pour cette zone dès le début de l’époque moderne.

L’architecture de la porterie, faisant la part belle au plan rectangulaire, détonne à l’époque du succès de la fortification philippienne flanquée de tours semi circulaires. La partie nord de l’éperon possède d’ailleurs trois tours, dont au moins deux ont un programme approchant des tours capétiennes du XIIIe siècle. Cela pose la question des choix faits par les commanditaires de ces constructions – probablement les Lusignan – et de la chronologie de leur édification. En effet, leurs changements de parti entre les camps anglais et français ont peut-être orienté leurs partis pris constructifs, affichant plutôt l’une ou l’autre des influences, voire s’en affranchissant quelque peu, révélant peut-être leur ambition d’indépendance.

Mélanie CHAILLOU

*DAO Hadès sur arpentage général cabinet VEYRIER (Limoges).

2013 – La « tour carrée » et la « tour en fer à cheval ».

En 2011-2012, les travaux se sont concentrés sur un ouvrage quadrangulaire communément appelé « tour carrée » et une tour voisine, dite « en fer à cheval ».

Toutes deux sont situées à chaque extrémité d’une plateforme sommitale délimitée par des versants abrupts. L’échafaudage intégral de ces vestiges a facilité l’observation des élévations. Une fouille exhaustive de l’intérieur de la tour quadrangulaire et plusieurs sondages périphériques ont complété l’étude. Outre les données techniques et stratigraphiques, le rapport intègre les conclusions d’une analyse des mortiers, des datations radiocarbones de charbons issus de ces mêmes mortiers, ainsi que les divers témoignages de la culture matérielle et de la consommation relatives aux différentes phases d’occupation. Au final, la perception des phases individuelles de chacun des édifices et les comparaisons autorisent une relecture de l’ensemble des vestiges de l’éperon. Ce résumé présente d’abord les phases spécifiques aux récentes découvertes et ensuite, la douzaine de périodes significatives d’une évolution du site.

La date de la première occupation de la plateforme n’est pas encore établie.

Elle se matérialise par la construction d’un bâtiment rectangulaire en moellons liés au mortier de chaux (phase I). La faible superficie de l’espace intérieur, environ 15 m², n’autorise pas à l’interpréter comme une habitation. L’hypothèse privilégiée serait un oratoire. Celle d’une chapelle castrale est minorée par l’éventualité d’une localisation primitive du castrum à l’emplacement de l’actuel bourg. Les raisons et la date d’une importante destruction n’ont pu être déterminées. Une forte rubéfaction de l’un des murs évoque un incendie (phase II).

Après une phase d’abandon supposée assez longue (phase III), le réaménagement de la plateforme débuterait par la construction d’une courtine sur le versant ouest (phase IV). Cette nouvelle maçonnerie retient les terres dans lesquelles sont creusées les tranchées de fondation de la « tour carrée ». L’édifice est rectangulaire (10.20 x 11.30 m hors œuvre), avec des murs de 1,60 à 1,80 m d’épaisseur à la base.

Ses élévations sont montées en plusieurs étapes. La première correspond au soubassement et 7 assises supérieures (phase Va). Elle s’interrompt par un désordre dans le mur occidental probablement causé par une faiblesse des fondations (phase Vb).

Après une reprise en sous œuvre et l’ajout de quelques assises (phase Vc), le chantier semble interrompu une nouvelle fois pour des raisons de stabilité de l’édifice. L’analyse radiocarbone d’un charbon issu du mortier mis en œuvre durant la phase Va situerait la construction après les décennies 1210 1220. L’histoire du couple Hugues X de Lusignan – Isabelle d’Angoulême oriente les hypothèses vers les années 1230 1242.

Compte tenu des analogies de procédés de construction, l’édification de la tour en fer à chevalets en partie supposée contemporaine (phase Vd). Bien qu’elle reste inachevée, la « tour carrée » sert temporairement d’habitation.

Le statut des occupants reste incertain. Leur mode de vie est principalement renseigné par des rejets de consommation alimentaire. L’hypothèse d’ouvriers du bâtiment est envisageable, mais celle de gardes à la solde de Louis IX est également intéressante.

Dans ce second cas, la phase correspondrait alors à l’application de l’accord de Pons signé entre le monarque et le comte de la Marche après la bataille de Taillebourg.

Le monarque impose une occupation militaire du château sur une durée de 8 ans.

La poursuite des constructions se caractérise par un changement de qualité de parement tout à fait cohérent avec la déconvenue d’Hugues X de Lusignan ou, en raison d’un investissement concentré sur d’autres édifices, comme la « grosse tour ». Les travaux débutent par la reconstruction intégrale de l’élévation nord de la « tour carrée » (phase VII). Plusieurs datations radiocarbones confirment un écart chronologique avec la phase Va qui pourrait avoisiner une trentaine d’années. À ce stade, la tour s’élève sur une hauteur d’au moins deux niveaux. Le rez-de-chaussée est occupé par une salle haute (environ 6 m). La seule ouverture connue est une porte d’entrée ouvrant au premier étage vers l’ouest. Son accès dépend probablement d’une relation avec la courtine précédemment établie.

L’évolution de la tour demeure imperceptible jusqu’au XVe siècle. Un état de dégradation prononcé est néanmoins suspecté en raison des partis architecturaux pris lors de la phase suivante (phase VIII). Celle-ci comprend d’importantes transformations et une surélévation (phase IX). La tour est dorénavant composée de trois étages sur un rez-de-chaussée, desservis par une tourelle d’escalier en vis greffée sur le flanc nord. La présence d’une cheminée et d’une baie à coussièges par étage indique une fonction résidentielle. Le mobilier, notamment la céramique trouvée dans les niveaux d’abandon et de démolition, atteste le maintien d’une occupation durant le XVIe siècle, voire les premières décennies du XVIIe siècle (phase X). L’abandon pourrait en partie résulter d’un séisme ayant fragilisé sinon ruiné l’édifice (phase XI).

Au bilan, les nouvelles investigations n’ont livré aucun indice relatif aux occupations antérieures au Moyen Âge (périodes I à III). Ce constat ne remet pas en cause les connaissances acquises par Benjamin Lasnier. Il se justifie par une topographie initialement défavorable à la conservation des contextes sédimentaires dans l’emprise de nos fouilles.

De même, aucune occupation du haut Moyen Âge n’est encore avérée, hormis celle dans le bourg. Sur l’éperon, la première phase médiévale pourrait correspondre à l’aménagement d’un édifice religieux : l’hypothétique oratoire (période IV).

Dans l’éventualité d’un castrum initialement localisé dans l’actuel bourg, l’implantation du château sur l’éperon apparaitrait alors comme une initiative motivée par l’intégration de la châtellenie au comté de la Marche. Les premières fortifications de l’éperon, notamment la porterie méridionale, seraient éventuellement commanditées à la fin du XIIe siècle par les Plantagenêt (période V). Bien qu’encore mal perçue, l’évolution témoigne ensuite de plusieurs programmes consécutifs. Elle débuterait par l’organisation de la forteresse en diverses enceintes séparées par des porteries (période VI). Elle se poursuivrait par la construction d’une première tour maîtresse restant temporairement inachevée (période VII). Une seconde tour maîtresse la supplanterait en raison de ses faiblesses architectoniques. Ces édifices seraient tous deux attribuables au couple Hugues X de Lusignan et Isabelle d’Angoulême. Lors de cette période, Crozant serait à considérer comme une forteresse inexpugnable et non un castrum à l’image de Merle. Le site serait destiné à héberger une garnison en temps de crise et sinon, des officiers. La question du nombre, du statut et des conditions d’hébergement de ces occupants reste ouverte. L’installation de bâtiments résidentiels a pu se limiter à l’aménagement des porteries ainsi que « des trois tours rondes et une tour carrée ». Ces nouvelles affectations semblent marquer un certain désintérêt pour l’organisation des défenses (période IX). Elles pourraient donc avoir lieu après les 8 années d’occupation imposées par la couronne française (période VIII).

Bien que plus récents et donc a priori plus accessibles, les vestiges des trois dernières périodes sont assez rares. L’occupation du site durant la guerre de Cent Ans n’est quasiment pas documentée et la Renaissance a seulement laissé son empreinte sur la « tour carrée » (périodes IX et X). Au XVIIe siècle, la ruine et l’abandon des tours se confirment (période XI). En revanche, une occupation ne peut pas encore être exclue dans les autres espaces. L’évolution du site reste finalement incertaine jusqu’au XIXe siècle.

Patrick BOUVART