HADÈS Archéologie

Église des Cordeliers

Fiche

  • Responsable : Jean-Luc PIAT
  • Période de fouille : 2000
  • Localité : Bayonne (Pyrénées-Atlantiques)
  • Type d’opération : 
  • Période :  ,
  • Agence : ATLANTIQUE

Résumé

L’implantation de l’ordre des Cordeliers (aussi dénommé ordre des Franciscains ou ordre de Saint François ou ordre des Frères Mineurs) à Bayonne remonte aux années 1240. En effet, les Cordeliers reçoivent en 1242 le droit d’utiliser un oratoire établi sur les bords de la Nive. Mais, c’est en 1283 qu’ils obtiennent du roi d’Angleterre la concession d’un vaste terrain accompagné d’un legs en argent, l’ensemble destiné à entreprendre la construction d’un couvent et d’une église à proximité du Bourgneuf, développement urbain de Bayonne au XIIe siècle sur la rive de la Nive. L’établissement était il achevé au début du XIVe siècle lorsque les droits de sépultures dans le cimetière du couvent des Cordeliers sont contestés par l’évêque de Bayonne en 1307 ? Sans doute, puisque le couvent est incendié en 1333. Peut être reconstruit ou seulement réparé, il est inondé par une crue de la Nive au XVIIe siècle, pour subir à nouveau le feu en 1811, époque où les bâtiments avaient été transformés en hôpital militaire depuis 1808. L’ensemble est finalement détruit en 1833 lors de l’agrandissement de l’Arsenal. des casernes sont construites au-dessus de l’ancien établissement religieux, ces dernières détruites à leur tour en 1993.

Une première opération archéologique de sondage diagnostic menée par Sylvie Riuné-Lacabe (AFAN) sur l’ensemble des anciennes casernes en 1993 avait permis de localiser l’église des Cordeliers. En raison d’un projet de construction d’un complexe cinématographique, une seconde campagne d’évaluation dirigée par Christian Normand en 1999 a concerné l’ensemble des bâtiments monastiques. Elle a précisé le plan et l’état de conservation des vestiges et les secteurs archéologiques qui nécessitaient une fouille de sauvetage archéologique au regard des menaces de destructions que pouvait occasionner le système de fondation du futur cinéma. C’est ainsi que fut décidé d’entreprendre la fouille de toute la moitié orientale de l’église des Cordeliers entre les mois d’octobre et novembre 2000 en raison de l’intérêt architectural de l’édifice, de la présence de remblais et de niveaux de sols anciens et de l’implantation dans la nef d’un grand nombre de coffres sépulcraux.

Le chantier s’est trouvé considérablement gêné par la remontée de la nappe phréatique alimentée par les intempéries et la nature argileuse du terrain. En outre, les remaniements du sous-sol occasionnés par l’installation puis la démolition des casernes militaires ont perturbé un grand nombre de niveaux archéologiques anciens. Malgré tout, les investigations ont livré un certain nombre de données nouvelles.

L’opération a consisté dans un premier temps au décapage superficiel à la pelle mécanique des couches de remblais récents venus recouvrir les fondations arasées de l’église et au démontage de cuves et de dalles en béton établies sur l’emprise de la fouille. La fouille manuelle aidée d’une mini pelle mécanique a ensuite procédé au dégagement des vestiges, au relevé en profil des parties sculptées et en plan des maçonneries, à la fouille des coffres sépulcraux et des tombes en cercueil. En outre, des coupes stratigraphiques ont été réalisées dans toute la largeur de la nef et à l’entrée d’une chapelle latérale nord. Un sondage profond dans les vases a permis aussi d’atteindre la fondation du mur sud de la nef établi sur des pieux en bois d’aulne. Les analyses dendro-chronologiques n’ont pas permis de dater l’abattage de ces bois mais en ont daté d’autres, sortis des vases voisines. Par ailleurs, il a été intéressant de noter les matériaux de construction employés dans les maçonneries de l’église : calcaire de Bidache plus ou moins équarris pour les fondations et les bases de piliers du chœur, calcaire de Mousserolles en grand appareil pour l’ensemble des élévations. des traces de rubéfaction en plusieurs endroits des parements intérieurs de l’église témoignent probablement d’un des deux incendies attestés par les textes.

Le plan de l’église s’est trouvé précisé : le chevet se compose d’une abside à cinq pans précédée d’une travée de chœur donnant accès à deux chapelles latérales sud et nord. Cet ensemble formant transept était voûté. Les bases de piliers sculptés, dont la modénature de style gothique est très proche des piliers de la cathédrale de Bayonne, permettent de dater cette partie après le deuxième quart du XIVe siècle. Contre la chapelle nord, le soubassement d’une construction carrée, probable tourelle d’escalier devait permettre d’accéder au dessus d’un mur jubé qui faisait la séparation entre le chœur monastique réservé à l’office et la nef des fidèles, partie qui disposait d’un autel placé en avant du mur jubé. Ce mur et cet autel ont été ensuite arasés au XVe siècle pour agrandir la nef déjà envahie par un grand nombre de caveaux. Par la suite, un imposant soubassement de retable a été construit dans l’abside et les niveaux de sol ont été surélevés, probablement en raison de l’exhaussement des terres lié à l’implantation des sépultures et peut être de la survenue de problèmes d’inondations. La chapelle latérale nord a ainsi livré un sol de carreaux et un soubassement d’autel d’époque moderne situé à 60 cm au dessus du sol primitif.

Le rehaussement des sols est bien mis en évidence par l’étude des sépultures de la nef. Quarante-huit tombes ont été observées, mais seulement vingt ont été fouillées. La plupart de ces sépultures avaient cependant été profanées lors de l’aménagement des casernes au XIXe siècle. Beaucoup d’entre elles étaient disposées en rangées bien régulières, dans des coffres bâtis. Cette organisation révèle une gestion rationnelle des sépultures et l’existence de caveaux individuels ou familiaux bien référencés. La découverte de fragments de pierres tombales gravées signale que ces tombes étaient visibles à même le sol de la nef. En effet, les droits de sépultures et de messes d’obit étaient certainement l’une des sources de revenus les plus régulières des ordres mendiants. Les modes de construction de cet ensemble de caveaux révèlent au moins deux phases d’aménagements : une première phase voit la construction de tombes en coffres bâtis de pierres de Mousserolles dans une épaisse couche d’argile amenée au-dessus des vases. Une seconde phase survient avec le rehaussement général des coffres bâtis préexistants et la construction de nouvelles tombes au-delà de l’ancien mur jubé qui est détruit à cette occasion. Les matériaux utilisés sont des blocs de pierre de Bidache, des briques et des pierres de Mousserolles en réemploi. des caveaux probablement réservés aux moines ont été aussi dégagés dans la chapelle latérale sud. Un pourrissoir a livré notamment une série de perles de chapelets et des éléments de crucifix.

Le long du mur gouttereau nord de la nef ont été dégagées les fondations d’une chapelle latérale à vocation funéraire. En effet, elle présente des deux côtés du mur de la nef les bases de trois piliers moulurés dans un style proche de ceux du chœur de l’église, mais plus tardif cependant. Ces piliers indiquent l’existence de deux arcatures ouvertes sur la nef, l’une formant l’entrée de la chapelle, l’autre délimitant l’emplacement d’un caveau aménagé dans l’épaisseur du mur, probablement surmonté d’un gisant aujourd’hui disparu. Par le plan, cette chapelle rappelle l’une des chapelles nord de la cathédrale de Saint-Bertrand-de-Comminges datée du milieu du XIVe siècle.

Le mobilier archéologique découvert dans les remblais sépulcraux consiste en une trentaine de monnaies très abîmées, des clous de cercueil, des épingles de linceul, des tessons de céramique d’époque moderne, un peigne retrouvé sous un crâne, quelques boucles de ceintures, des perles de chapelets et des crucifix. Par ailleurs, le dégagement d’une couche de démolition de toitures (tuiles et ardoises) entre la chapelle latérale sud et l’aile orientale du cloître a livré du mobilier céramique des XIVe et XVe siècles ainsi que plusieurs fragments de carreaux glaçurés.

L’ensemble de l’opération a donc permis de préciser les modalités d’implantation en terrain marécageux de l’église d’un ordre mendiant construite dans la seconde moitié du XIVe siècle et son évolution architecturale au gré des contraintes du milieu et de l’accueil réservé par l’ordre des Cordeliers aux inhumations à l’intérieur du sanctuaire. Enfin, cette étude archéologique a pu être replacée dans le contexte plus général de l’évolution topographique de la rive droite de la Nive, grâce en partie à l’étude des plans anciens de la ville de Bayonne et d’une analyse, certes sommaire, des documents d’archives.

Jean-Luc PIAT