Fiche
Résumé
La fouille préventive urgente menée en amont des travaux d’aménagements et de construction de l’IUT B de journalisme de Bordeaux, place Renaudel, dans le quartier Sainte-Croix, a été décidée par le Service Régional de l’Archéologie d’Aquitaine suite au diagnostic archéologique réalisé en mai 1998. L’opération de sauvetage confiée au bureau d’investigations archéologiques Hadès s’est déroulée entre les mois de septembre et octobre 1998, en concertation avec l’aménageur Bordeaux Métropole Aménagement dont il fallait respecter les impératifs.
L’intervention archéologique a dégagé un terrain de 900 mètres carrés ; deux zones de fouilles bien distinctes ont été privilégiées suite à la découverte de vestiges anciens. Sur ces deux secteurs, les résultats stratigraphiques ont ainsi permis d’apporter de précieuses informations sur les origines et l’évolution topographiques de ce quartier de Bordeaux, malgré les difficultés d’interprétations des structures et des aménagements repérés. Le terrain était en effet affecté par les constructions industrielles des XIXe et XXe siècles établies sur la parcelle étudiée.
L’absence de structure et de mobilier domestique d’époque gallo-romaine sur le site témoigne de la situation périphérique du quartier Sainte-Croix pendant l’Antiquité par rapport à la cité de Burdigala resserrée plus au nord-ouest autour du ruisseau de la Devèse. Seuls quelques matériaux de constructions antiques (fragments de marbre, blocs de tuileaux, tesselles de mosaïques, tuiles à rebord) ont été déversés en remblai en plusieurs points du site exploré. Ces remblais de démolition, évacués à l’époque médiévale, confortent l’idée que cette portion de la terrasse alluviale de la Garonne se tenait à l’écart de l’agglomération gallo-romaine.
L’émergence d’une nécropole à la périphérie de la cité du haut Moyen Âge et l’implantation d’un sanctuaire ad sanctos vers le VIIe siècle indiquent la promotion d’un quartier suburbain. Quelques fragments de cuves de sarcophages trapézoïdaux ont d’ailleurs été retrouvés dans le comblement de fosses médiévales ainsi que des ossements humains épars. Au tournant de l’an Mil, le noyau attractif formé par la nécropole a généré le développement d’un faubourg promu par le rétablissement de l’abbaye Sainte-Croix et l’établissement d’une sauveté. Plusieurs fosses, dont quelques silos de stockage encore remplis de céréales carbonisées, et une plaque foyère témoignent de la fréquentation du site entre les Xe et XIe siècles.
Cette occupation médiévale se maintient sans interruption jusqu’au XIIIe siècle, époque au cours de laquelle quelques fosses de stockage sont encore aménagées. Puis, on observe un apport de remblais destiné à l’aménagement de sols et à l’installation d’un premier habitat aux murs maçonnés. Cette construction disparaît à la fin du XIIIe siècle, remplacée par un nouvel habitat maçonné, bordé d’une chaussée gravillonnée d’axe nord sud. L’ensemble du site connaît ensuite un hiatus d’occupation au cours du XIVe siècle, interruption sans doute liée à l’établissement des remparts de la troisième enceinte de Bordeaux clôturant le quartier Sainte-Croix désormais rattaché à la ville médiévale.
Ce n’est qu’aux XVe et XVIe siècles qu’une reprise de l’occupation du terrain se manifeste par une recharge de remblais sur laquelle vient s’installer une série d’habitations. L’une d’elles a été dégagée sur une grande partie de ses maçonneries : elle a livré une cave effondrée et un four à pain qui ont fonctionné jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Ce bâtiment semble correspondre à la boulangerie figurée sur un plan d’Ancien Régime représentant le jardin du Noviciat des Jésuites établi lors de la fondation de cette maison en 1606. Les textes conservés dans le fonds d’archives du Noviciat apportent de précieuses informations sur la nature foncière des terrains que les jardins réoccupèrent. L’étude de plusieurs reconnaissances foncières a même permis de reconstituer un plan schématique des différents lots avec leurs propriétaires respectifs connus entre les XIVe et XVIIe siècles. Sur le secteur fouillé, il existait au moins deux habitations au début du XVIIe siècle, bâties le long de la rue du Peyrat, voie dont le tracé a été plus ou moins repris par l’actuelle rue du Fort Louis.
Ces constructions furent détruites vers 1617 lors de l’établissement du jardin des Jésuites. Puis, l’édification du demi-bastion de Saint Ignace et du glacis du Fort Sainte-Croix en 1675, reprise en 1691, aliéna une partie des jardins, entraînant un premier nivellement des terres. La suppression de l’ordre de la Compagnie de Jésus à Bordeaux en 1764 et la vente des terrains du Noviciat en 1771 amenèrent le site à être réoccupé au début du XIXe siècle par des bâtiments industriels. des terrassements importants furent menés pour asseoir les murs d’une fonderie. Une chaudière dont le soubassement de brique a été retrouvé fut installée en 1854 par l’industriel Daney. Les hangars de l’usine, acquis par le négociant Descat, servirent de chais à vin au début du XXe siècle, avant d’être rachetés par le constructeur Henri Ford en 1916 pour installer les premiers ateliers de montage automobile de la firme américaine sur le territoire Français. Les bâtiments furent reconstruits en 1920 après leur destruction par un incendie. Les deux concessionnaires Maleville et Pigeon reprirent les ateliers Ford pour en faire un garage d’exposition et de vente des voitures de la firme, avant que l’enseigne ne change au profit des automobiles Peugeot et Talbot. Cet établissement fut détruit dans le courant des années 1980 pour permettre la construction prochaine de l’IUT B de journalisme.
Jean-Luc PIAT
Jean-Luc PIAT